Lundi 1er juin 15

 « Chaque nuit, je chasse. Ce n'est qu'au coucher du soleil qu'on peut mettre le nez dehors et respirer convenablement. Le jour, il faut se couvrir tout le visage et espérer qu'il ne fera que quarante cinq degrés celsus. Je suis certaine que même en enfer il fait meilleur. Je n'avais donc pas d'autre choix que de partie entre minuit et quatre heures du matin. Heureusement, je ne suis pas seule. J'ai six hommes et une autre femme pour m'accompagner. Notre but ? Trouver tout ce qui peut nous être utile. Aussi bien de la nourriture, des vêtements que des médicaments. Les armes ? Elles se faisaient bien rares... la France n'a jamais voulu doter ses citoyens de ces choses là, contrairement aux Etats-Unis. Pas sûre que notre groupe serait aussi gros si c'était le cas. C'est peut-être un mal pour un bien, qui sait. Qu'est-ce que je disais déjà ? Ha, oui, la chasse. Toutes les nuits, on espère trouver le bon filon, un peu comme des chasseurs de trésor. Il nous arrivait souvent de revenir bredouilles mais parfois on avait des belles surprises. Notre plus grose prise ? Une maison à quelques kilomètres de là. Quelqu'un avait entassé chez lui une tonne de boîtes de conserves, comme s'il avait prévu le coup. Curieux, non ? Bref, quoi qu'il en soit, on avait tout rapporté et toute la communauté nous a applaudit comme si on avait remporté les jeux olympiques. On était fiers et on se sentait heureux. Alors, chaque nuit, je chasse. Je cherche pour eux de quoi vivre mieux. »

Dimanche 31 mai 15

 « Je ne pensais pas du tout que ma qualité de juriste serait utile dans un pays où tout pouvoir s'était effondré aussitôt que tout le reste. Il n'y avait plus de gouvernement, plus de policiers, pas même un militaire. Personne pour nous dire quoi faire. Il y avait seulement nous et certainement des survivants errant pas loin mais on ne pouvait pas s'occuper de tout le monde. Très vite, dans la Grotte, un homme, Vivien, a su prendre les rennes  par son autorité naturelle. Yann, le plus costaud de tout le groupe, était à ses côtés, le revolver jamais loin de lui, en cas de difficultés. Après avoir fait une description sommaire de chaque membre -vingt-huit femmes, vingt-deux hommes et trois enfants dont un bébé ainsi qu'un adolescent de seize ans); Vivien est venu rapidement me voir. Il m'avait alors fixé de ses yeux verts intenses, posé une main puissante sur mon épaule puis m'avait déclaré de façon très solennelle qu'il avait besoin de moi. Que je devais impérativement mettre en place des règles sinon on n'allait pas survivre longtemps. Je lui avais répondu de me laisser une journée pour y réfléchir. Le lendemain, j'avais gribouillé sur une feuille que vous m'avez gentiment passé de votre carnet. Je lui avais alors proposé de mettre en place trois groupes: un premier pour proposer les décisions, un deuxième pour les voter ou non, et un troisième pour les exécuter. Le jour-même, on décida de mettre en place des élections à la majorité simple faite à main levée. Tout le monde avait le droit de voter sauf les enfants. On avait accepté la participation de l'adolescent. Sans trop attendre, Vivien ainsi qu'Isabelle avaient été nommés "dirigeants". Cinq autres personnes avaient été élus au "Conseil". Et, enfin, quatre hommes ont été chargés d'assurer la sécurité et la protection. En hésitant à peu, on s'était dit que "L'Ordre" sonnait plutôt pas mal. Enfin, il avait été aussi soufflé par quelqu'un du groupe de mettre en place un "Juge" pour résoudre les conflits et, l'ensemble connaissant mes fonctions passées, m'avaient naturellement nommé à ce poste. La situation me faisait un peu rire, les gens étaient confiants alors que le système comportait énormément de failles et qu'il suffisait d'un rien pour tout renverser. Ils pensaient qu'on allait s'en sortir, que tout ça n'était que du provisoire... cela fait maintenant quatre mois qu'on est là, dans ce trou, avec un soupçon de contrat social qu'un rien fera disparaître. »

Mardi 26 mai 15

 « 'La Grotte' -comme ils aiment la nommer- est bien plus qu'un simple trou sous un rocher. C'est un premier tunnel qui se jette dans un deuxième tunnel se jetant à son tour dans plusieurs autres tunnels. Un ensemble de passages souterrains. Plus ou moins sûrs. Il y a deux semaines, j'ai vu une jeune femme se balader dans l'un de ces sombres passages... avant qu'un éboulement n'ait eu raison d'elle. Dommage. Je l'aimais bien cette petite... elle me rappelait ma nièce, Annie. Je ne sais d'ailleurs pas ce qu'elle devenue. Ni le reste de ma famille. Quand cette étrange lumière s'est abattue sur nous, j'ai juste eu le temps de prendre ma femme et de la plaquer contre-moi en dessous de la table du salon. La maison avait été secouée dans tous les sens, on avait tous les deux le cœur au bord des lèvres. Tout s'écroulait autour de nous, on avait cru que c'en était fini de nous. Après d'interminables minutes, quand ça s'est arrêté, on était pourtant encore en vie... la table avait bien tenue -dire que je ne la voulais pas - ! J'avais été coupé assez profondément au bras gauche -il me fait toujours un peu mal d'ailleurs malgré les soins- mais on pouvait s'estimer heureux d'être encore là. Sans trop chercher à comprendre la raison de cette catastrophe, on avait tous les deux été pris à l'instinct et on avait récupéré tout ce qu'on avait pu: un caleçon par ci, une bouteille d'eau par-là, un paquet de gâteaux de ce côté, une boîte d'aspirine de l'autre... tout ce qui aurait pu prolonger un peu notre survie. On avait mis l'ensemble dans une valise à moitié cassée qu'on avait retrouvé. Ensuite, on avait osé regarder en l'air, et, en voyant ce ciel orange à la limite du rouge à travers le toit, puis l'air qui nous rongeait les poumons, on avait compris que ça ne touchait pas que notre ville. Que c'était beaucoup plus grave. En passant la porte -du moins de ce qu'il en restait- on a réalisé que nos voisins avaient pas eu la même chance que nous: leurs domiciles étaient en ruines. Nous, au moins, il restait des fondements encore debout et on n'avait pas de premier étage. Il faut croire que tout doit tomber et toujours par le haut. Même dans la Grotte, considérée comme un abri, il y a des tunnels qui s'effondrent sur la tête des jeunes femmes. »

Lundi 18 mai 15

 « J'ai déjà été une fois, dans le monde du dehors. Ce que j'y ai vu n'est pas joli-joli. Les immeubles étaient plus gratte-terres que gratte-ciels, si tu vois ce que je veux dire. Partout où on marchait, on sentait des choses craquer sous nos pieds. Personne n'en parlait, on faisait genre qu'on n'entendait rien, mais en fait on écrasait les restes de l'humanité. Des os. Et y en avait des tas... un vrai paradis pour les molosses ! En fermant les yeux, t'aurais cru qu'un gosse s'amusait à bouffer des kellogg's la gueule ouverte tellement que ça faisait le même bruit. Et, dans cette joyeuse balade sonore, on arrivait à peine à respirer. L'air était tellement dégueu que ça nous piquait également les mirettes. Fallait porter des tissus bien épais si tu voulais pas tomber dans le gaz en deux-deux. Malgré tout, on y est resté une heure... une putain d'heure ! On a tous cherché à comprendre pourquoi, sauf une qui a voulu comprendre comment. Une sacré intello celle-là. M'étonnerait pas qu'un jour elle trouve la solution à notre survie... et à mon célibat. Bref, t'en as rien à faire de ça toi. Tu veux juste noter, garder une trace, pour après, au cas où arrivera avoir des gosses, et leur raconter la merde qui nous est tombée dessus d'un coup. D'ailleurs, on sait toujours pas. Moi j'y ai vu du blanc puis du noir et me souviens d'être tombé et de m'être réveillé dans une grotte. On m'avait traîné jusque là-bas et me suis réveillé que deux jours après le bordel. Je ne dois mon salut qu'à Yann, cette bête de presque deux mètres de haut. Sans lui, je serai sans doute un de ces trucs qu'on marche dessus et qu'on cherche surtout pas à savoir ce que c'est. »

Jeudi 26 mars 15

L'amour est un étranger qui s'annonce sans frapper, qui t'allume l'obscurité, qui te sourit en larmes, qui te nettoie en désordre, qui te crie dessus silencieusement, qui te donne tout en plein vol, qui te rappelle dans l'oubli, qui te perd lors des retrouvailles, qui te tolère en rejetant, qui te descend par montée, qui te rit sous l'angoisse, qui te contredit en toute logique, qui te complique facilement, qui t'écoute sourd, qui te voit aveugle, qui te touche insensible, qui te cogne dans la douceur, qui t'égaie déprimé, qui t'apprend ignorant, qui t'appauvrit enrichi, qui t'écrit sans lignes, qui te parle sans son, qui s'approche en s'éloignant, qui te chante en parlant, qui t'extériorise dans l'intérieur, qui te désire par le dégoût, qui t'achète vendu, qui te mange la bouche fermée, qui te veut sans le vouloir, qui te peut en le pouvant, qui t'abrutit intelligemment, qui t'infantilise en adulte, qui te réconforte par effroi, qui te souffre sans douleur, qui t'écrase en s'envolant, qui te domestique sauvage, qui te rajeunit dans la vieillesse, qui t'habille dans la nudité, qui t'embellit par mocheté, qui te câline sous morsure, qui analyse sans comprendre, qui te pianote en batterie, qui cuisine sans plat, qui construit sous destruction, qui te voyage immobile, qui t'appelle en raccrochant, qui court en marche, qui t'espère en désespoir, qui t'imagine sans rêver, qui te rend fidèle en te trompant, qui te meurt dans la vie, qui te bafouille éloquent, qui te dessine sans crayon, qui te saisit sans rien prendre, qui te commence en terminant, qui te popularise inconnu, qui te promet sans tenir, qui t'embrasse sans lèvres, qui t'a sans t'avoir, qui t'isole en t'ouvrant, qui te hait pour t'aimer, qui te hait pour t'aimer, qui te hait pour t'aimer, qui te hait pour t'aimer, qui-

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