Une fois arrivés à l’entrée de la petite gare, la mine grave, il tira sur son mégot avant de le jeter d’une pichenette au loin. Dans un vol plané, calculé même, la cigarette usée s’écrasa à proximité d’un pigeon qui la picora mécaniquement sans se douter une seule seconde qu’il avait été pris pour cible. Le jeune homme, intérieurement insatisfait, voulut dégager sa mèche blonde rebelle qui s’était encore mise devant ses yeux mais sa petite amie le fit à sa place dans un geste presque lent qui montrait que quelque chose n’allait pas. La sentant triste, il se pencha, lui caressa la joue… et jeta un vif coup d’œil à son décolleté avant de se coller contre elle. Elle était si bonne… quel dommage ! Il en aurait bien profité encore un peu avant quelle parte.
La nouvelle était tombée d’un coup sans prévenir. Ses vieux l’avaient appelé en lui proposant d’être la secrétaire du patron de la boîte la plus connue du pays. Salaire confortable, chauffeur et appartement de fonction offerts, voyages d’affaires aux États-Unis et au Japon compris… c’était là le job en or que tout le monde aurait aimé avoir. Ses parents l’avaient trouvé par l’intermédiaire de relations apparemment très haut placées… un ministre serait même intervenu, faut dire ! Il y avait vraiment de quoi faire rêver n’importe qui. Ça ne l’avait d’ailleurs pas étonné quand elle leur a dit qu’elle acceptait. Lui, il en aurait bien fait autant à sa place. Le seul hic était que ce bout de Paradis se trouvait à Paris et il n’était pas du tout prêt à quitter la vie qu’il s’était fait ici pour une autre... bien que celle-ci était pleine de promesses.
Elle, faut dire que la province ça ne lui plaisait pas trop. Il le savait parce qu’il avait couché avec cette beauté suffisamment de temps pour connaître à peu près tout d’elle. Assez intelligente, voir beaucoup, elle avait quitté la capitale il y a deux années de ça pour poursuivre ses études dans le coin. Apparemment, la ville recueillait en son sein une école très bien réputée au niveau national et la sélection y était vachement rude. Ça ne lui avait pourtant pas posé de gros problème puisqu’en passant le concours elle était arrivée en première place.
Quand elle lui avait raconté ça d’ailleurs, il ne l’avait pas montré mais il en était resté sur le cul. Faut dire que lui il n’avait même pas eu son bac et il enchaînait les petits boulots par ci et par là et arrivait à chaque fois à les conserver au mieux cinq mois. Il s’était toujours demandé pourquoi une fille comme elle s’était mise avec un gars pour lui. Elle était si sérieuse, si propre, si émotive alors qu’il était pour sa part inconscient, plutôt sale et cœur de pierre. Sans doute était-ce là l’exemple de l’une de ces conneries racontant que les gens étaient toujours attirés par leur contraire.
Quoi qu’il en soit, cela faisait maintenant quelques mois qu’il avait réussi à la mettre dans son lit et à la faire rester. C’était étrange parce qu’à chaque fois qu’il couchait avec l’une de ces proies, chassées pour la plupart gracieusement en boîte la nuit, elles s’enfuyaient avant le lever du soleil… ce qui ne le dérangeait pas d’ailleurs puisqu’il ne tenait qu’à leurs délicates formes. Ses potes l’appelaient Don Juan et il tenait à ce titre. Sauf qu’elle, contrairement aux autres, était encore à ses côtés quand il s’est réveillé puis elle est restée les autres jours. Au début, ça l’avait fait un peu bizarre de se voir en couple puis finalement il l’avait accepté en se disant que le jour où il en aura marre d’elle, de ses yeux verts, de sa chevelure brune, de son parfum sucré mais, surtout, de son corps de rêve, il lui dira d’aller se faire voir ailleurs. Jour qui ne vint pas vraiment étant donné que c’était elle qui partait en le laissant ici.
Il ressentit une curieuse sensation. Qu’est-ce que s’était ? Il n’en avait aucune idée. Une voix mécanique résonna soudain à l’intérieure de la gare, le tirant de ses pensées : « TGV n°5647 en direction de Paris, départ à 9h02, voie n°2 ». Il se détacha alors lentement d’elle et regarda sa montre : il était 8h55. Il ne restait plus que quelques minutes avant que son train parte direction la capitale.
- Il faut qu’on aille vers ton train sinon tu risques de te louper, l’informa-t-il. Tu n’as pas oublié ton billet hein ?
- Non non… répondit-t-elle, presque éteinte, en montrant mollement le ticket.
Il lui prit son sac et sa main et glissèrent à l’intérieur d’une construction humaine qui avait mal vieillie avec le temps. Elle paraissait si vide que, s’il n’y avait pas eu d’autres voyageurs parmi eux, comme les deux autres là-bas qui avait failli leur rentrer dedans dans la précipitation, et qui se disaient maintenant au revoir, il aurait crû que cet endroit avait été abandonné depuis belle lurette. Ils traversèrent le hall, entendant l’annonce se répéter curieusement plus fois d’affilée, et arrivèrent vers les voies qui étaient incroyablement au nombre de… deux. Ils s’immobilisèrent et observèrent le train. « Les passagers du TGV n°5647 sont priés d’embarquer, départ dans deux minutes, voie n°2 ». C’était l’heure. Fallait qu’elle parte.
- Rémi… l’appela-t-elle en larmes.
- Ne me dis rien Lisa, dit-il alors dans une voix qui était moins rassurante qu’il le voulut.
Il approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa. Sa poitrine s’enflamma et les battements de son cœur s’accélèrent. Que lui arrivait-il ? Lui, le Don Juan, serait-il… ? Non, ce n’était pas possible, il devait être malade. Leur baiser ne dura qu'un court temps, trop court même à son goût.
- Je t’appellerai ce soir, lui lança-t-il. Allez va-y Lisa ! Vite !
Les yeux verts toujours humides, elle se retourna et courut vers le train du mieux qu’elle pouvait. Bizarrement, c’était lui qui était essoufflé. Elle rentra dans l’une des voitures, la trois plus précisément. Une sonnerie se fit entendre et la porte par laquelle elle était montée se referma derrière elle. Il cru que ses entrailles allaient exploser mais ne laissa paraitre rien. Le train quitta la gare doucement. Il n’arrivait plus à respirer. Un instant plus tard, il ne le vit plus. Il semblait qu’il allait mourir... il sentit quelque chose sur ses joues : il pleurait.
Il se reprit et regarda autour de lui : il n’y avait presque plus personne. Tant mieux, il n’aurait pas aimé qu’on le voit dans cet état. Alors qu’il était sur le point de partir, il réalisa qu’il avait encore son sac avec lui. Merde ! Pris de panique, il se demanda comment il allait faire pour lui rendre tout en se rongeant les ongles. Tout à coup, une réponse lui arriva en tête. Aussi simple que bonjour. Il glissa sa main dans sa poche, sortit son portable et appuya sur les touches du clavier :
« J’ai oublié de te donner ton sac. Ne t’inquiètes pas, je prendrais le train de demain et je te l’apporterai ».
Il envoya le message, un petit sourire sincère au coin des lèvres. Il l’aimait et, qu’il le voulait ou non, il ne pouvait rien y faire. Il sentait que c’était la bonne, que c’était avec elle qu’il allait vivre sa vie. Paris ne lui faisait plus peur. Il allait la rejoindre et ils allaient vivre heureux ensemble.
Pris d’une douce ivresse, il se dirigea vers la sortie et posa le sac vers un banc situé à sa droite. Il s’alluma une clope et s’assit. Il leva la tête et jeta ses yeux azur au dessus de lui. Les rayons du soleil s’illuminaient de plus en plus et semblaient chasser les nuages au loin. Il trouva ce paysage magnifique.
L’un des deux gars qui avait failli les renverser tout à l’heure se mis à côté de lui. Il paraissait triste. Il ne dit rien et regarda par la suite une plume jouer avec le vent en face d’eux avant de se poser avec élégance sur la page d’un carnet noir ouvert et abandonné sur le sol.
Dimanche 13 février 11
En collaboration avec Alexandre dont son texte, étroitement lié avec celui-ci, était disponible sur son blog... qui n'existe plus !