Il avait beau savoir de ce pays que le vent soufflait si fort que les habitants eux-mêmes, excédés, étaient de plus en plus nombreux à se réfugier dans des zones moins exposées, il ne pensait pas pour autant se faire repousser en arrière avec autant de violence. S’appuyant de tout son poids sur ses jambes pour ne pas tomber à la renverse, la traversée aurait été encore possible, bien qu’il faisait chaud, si le sable brûlant ne s’en était pas mêlé.
 
Les grains, par milliers, le frappaient de part en part, tel un fouet invisible, le marquant à sang à plusieurs endroits malgré l’épaisseur de ses vêtements usés. S’ils ne se glissaient pas dans ses cheveux bruns abondants ainsi que dans sa barbe mal rasée, lui donnant l’air d’un véritable bonhomme de sable, ils rentraient sans pitié dans ses oreilles percées, ses yeux verts forêt, son petit nez délicat, et même entre les fines lèvres roses de sa bouche. La gigantesque cape qu’il avait mis face à lui, constituée de nombreux tissus, assortis à la couleur de son regard perçant, ne le protégeait suffisamment pas. Manquant de peu de finir étouffé, si ce n’est aveugle et sourd, il se résigna à en savoir plus sur cette région au climat difficile. D’autant plus qu’il avait cru voir un instant une silhouette familière qu’il ne souhaitait pas rencontrer. Ni une ni deux, il profita de la largeur de sa cape pour s’en couvrir entièrement. Il murmura quelque mots dans une langue ancienne puis disparut du désert de Sanamel.
 
Il se retrouva instantanément ailleurs, à des milliers de kilomètres de là. C’est ce qu’affirmait du moins sa petite boîte métallique qu’il gardait précieusement près de lui. Le vent était toujours présent mais n’était désormais plus qu’une petite brise légère caressant son corps endolori. Il relança sa cape en arrière, se débarrassa de tout le sable accumulé sur son visage et ses vêtements, toussa un bon coup puis observa le paysage tout autour de lui après avoir cligné plusieurs fois des paupières.
 
Il avait atterri sur une belle plaine verdoyante, entouré d’une armée de fleurs sauvages aux couleurs chatoyantes et accueillantes. Les odeurs qu’elles dégagèrent en sa présence le surprirent. Alors que certaines sentaient exactement ce qu’on attendait d’elles, d’autres ne voulurent pas respecter les lois de la nature et se distinguèrent par leur senteur de viande rôti, de poissons frais ou bien encore de fruits exotiques. Bien qu’étrange, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas atterri dans un endroit aussi calme et aussi joli. Il s’aventura dans ce petit monde merveilleux, le ventre en appétit, affamé par tous ces plats imaginaires que lui proposaient les plantes. Alors qu’il avait profité de l’existence d’un petit ruisseau pour se laver la tête et se désaltérer, ses narines décelèrent tout à coup un parfum. Son parfum.
 
Il se redressa brusquement, se retourna puis l’aperçut. Elle se tenait juste là, à moins d’un mètre de lui, dans ce paradis perdu. La première chose qu’il vit est sa chevelure blonde sauvage, presque aussi longue que sa cape, qui lui mangeait la moitié de son visage couleur neige. Une belle fleur acacia rose à l’oreille, ses yeux gris pétillants le regardaient avec une certaine tendresse.
 
- Bah alors Aydan ? Tu ne me prends dans tes bras ? dit-elle dans un sourire qui l’encourageait à s’exécuter.
 
Elle tendit sa belle main blanche mais il n’en fit rien. Il se contenta juste de la regarder, troublé, ravagé par les souvenirs qui remontaient à la surface. Il savait que cela ne servait à rien de lui parler mais il ne put s’en empêcher.
 
- Combien de temps vas-tu me poursuivre comme ça ?! lui demanda-t-il dans une colère noire. Surprise par sa réaction, elle prit un air triste et son regard se mouilla aussitôt.
 
- Je suis ta femme ! répondit-elle – sa voix, d’habitude mélodieuse, tremblait-. Je te suivrai toujours !
 
- Non ! Tu ne peux pas être ma femme ! Ma femme est morte ! Il l’avait hurlé avec une telle puissance qu’il en fut lui-même étonné. Cela faisait longtemps qu’il gardait ça sur le cœur. Des larmes lui coulaient le long des joues. Sur ceux de Mélissa aussi.
 
- Tu n’es qu’une honteuse copie de ce qu’elle était ! Tu ne peux pas savoir à quel point elle était parfaite pour moi ! Je l’ai tant aimée ! Oh oui, tant aimée... et elle est partie à jamais !
 
Il reprit sa respiration. Sa gorge, irritée par le sable, le grattait.
 
- Toi par contre, tu es là. Telle une malédiction. J’en ai eu des ennemis dans ma vie mais je ne pensais pas que l’un d’entre eux pouvait être aussi pervers et cruel pour me jeter un sort pareil !
 
Il essuya ses yeux rougis puis toussa à plusieurs reprises.
 
- Mais ne t’en fais pas, lui lança-t-il. Je parcours le monde entier pour trouver un remède. Celui qui me débarrassera une bonne fois pour toute de toi. Et le jour où je le trouverai je pourrai enfin faire mon deuil. Maintenant va-t’en !
 
Il s’enroula aussitôt dans sa cape verte avant de disparaître à nouveau dans un autre lieu, dans un autre temps, en espérant qu’elle ne le suivra plus, sans trop y croire.