Lundi 6 janvier 14

- Ferme tes yeux, laisse tes oreilles percevoir les cris des murmures. Ces voix coincées dans les autres, cherchant à se défaire, à n'être enfin plus qu'une. Les entends-tu ? Non, bien évidemment ! Et pour quelle raison ? Seulement parce que tu t'entêtes à croire que ce monde n'est que silence, un ensemble de sans bruits, un calme inébranlable. Putain mais... penche-toi ! Tout n'est que vacarme ! Elles te gueulent dessus, exigent que tu leur prêtes de l'attention ! Pas de leur répondre ! Juste de boire leurs paroles, d'absorber les mots qu'elles te balancent, de les assimiler, de les comprendre. Ces chuchotements hurlés sont avis, conseils, jugements, opinions, plaintes et pensées, instrumentalisées dans chaque ton possible. Tout ce qui est bon pour le cœur, l'esprit, est là. Il suffirait seulement que tu les accueilles telles qu'elles sont. Pourquoi je te dis tout ça ? Parce qu'un jour, lorsque ton corps ne te suivra plus, tu ne seras plus qu'un souffle. Un souffle enragé exigeant de se faire entendre. Et à ce moment là, tu aimeras que quelqu'un soit là pour toi.

Samedi 4 janvier 14

La nuit fraîche se fixait, collait ses ombres un peu partout, au moindre recoin, des meubles jusqu'à mon cœur. C'était le moment, repérable, de commencer à nouveau. Je pris la feuille, fine, comme toujours, puis la déposa délicatement sur le bureau. Une terreur froide remonta l'axe de ma colonne vertébrale avec la réaction immédiate, impossible à contrer, de soulever la seule arme que j'avais à disposition contre les ténèbres: mon crayon.

Mes pauvres doigts meurtris d'avance par le travail à venir, qu'ils devaient pourtant fournir, s'agitèrent, s'envolèrent avec anarchie, avant de se déposer, dans une grâce perdue, sur le papier frileux. J'avais, dans la pensée la plus intime, choisi la plus belle image que j'avais conservé de toi. Celle perdue dans ta baignoire, immergée dans l'eau chaude, les montagnes de savon parfumé te cernant tout autour, la chaleur humide de la pièce, la buée prenant l'unique fenêtre. Un spectacle savoureux dont j'ai été le seul témoin.

Tes jolis traits venaient, tes courbes délicieuses aussi. Ta silhouette se formait, me déformait, me réformait. Ton corps nu allongé se dévoilait au bout de mon crayon qui s'était attardé, malgré lui, plus de temps qu'il était nécessaire, sur tes seins. Miner l'indifférence m'était difficile tant ce qui arrivait devant moi n'était que beauté. Je ne cessais de trembloter. Par trois fois, il me fallait arrêter, récupérer un rythme plus ou moins régulier, puis replonger. Je fis apparaitre tes mains que tu avais si petites, voulus les prendre dans les miennes que j'avais si grandes, me rappelai de la difficulté à pouvoir le faire, continuai avec tes fines jambes puis avec tes pieds délicats.

L'étape la plus longue arriva. Les souvenirs remontèrent, troublés d'avoir été dérangés d'aussi profonds, firent jaillir soudain ton visage pâle ovale qui m’exposa en pleine face. Percuté, je m'étais reculé afin de pouvoir te regarder. Le front large, les sourcils fins, le nez busqué, le menton allongé, il ne me fallait rien pour rajouter le rose à tes pommettes discrètes, le rouge à tes lèvres pulpeuses, le châtain à tes cheveux longs ondulés qui recouvraient le tout à moitié. L'évidence l'avait déjà fait.

Mais tu avais beau avoir le vert qu'il fallait à tes yeux en amandes, un coup d'œil me suffit pour comprendre que tu n'étais toujours pas consciente: tu n'avais pas de regard. Ton regard. Alors, mordu par le chagrin, jamais résigné, je te pris, te déchirai en plusieurs morceaux de toi.

- Tu me reviendras, amour, tu me reviendras, te lançai-je dans un souffle en te regardant te disperser dans les airs.

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast