Jeudi 7 avril 11

Dans l’obscurité de sa grande chambre, seul le réveil dégageait de la lumière. Allongé de dos sur le lit, il tourna la tête pour le regarder : ses chiffres digitaux, d’une couleur rouge, indiquèrent 3h12. Il poussa un soupir d’exaspération et tapota nerveusement ses doigts sur la couverture.

Cela faisait des heures qu’il essayait de dormir. Il avait beau fermé les yeux et compter les moutons jusqu’à deux mille sept cents quatre-vingt-dix-huit, cela ne marchait pas. Il avait pourtant essayé tous les moyens qu’il connaissait : la télé, la musique, le verre de lait, la douche chaude et même la masturbation : rien à faire. Il fallait croire qu’il avait contrarié le marchand de sable.

Ne sachant plus quoi faire, il regarda bêtement son plafond et tenta alors de faire le vide complet dans sa tête en écoutant les petits bruits quotidiens qui l’entouraient… il entendit le moteur d’une voiture passant dans sa rue… le sifflement du vent glissant par la fenêtre… le Humpf ! d’une voix venant tout près de lui… un Humpf ! ?!

Il se leva d’un bond, partit allumer la lumière et fixa son lit en alerte. Il prit le premier objet qui lui vint dans les mains –sa guitare- et le leva en l’air prêt à mettre un coup s’il le fallait. Et soudain, il devint le spectateur d’une scène surréaliste : une chose rouge et noir avec des piquants rampa d’en dessous du lit et se mit debout. Ça devait bien faire deux mètres. Deux yeux jaunes le fixèrent. Curieusement, il n’en eut pas peur mais il n’en resta pas moins étonné de ce qu’il avait devant lui. Il s’approcha de lui, l’air menaçant bien que troublé tout au fond de lui. La « chose » lui parla d’une voix grave :

-    Ne me frappez pas ! Je ne vous veux pas de mal ! lança-t-elle en faisant des signes avec ses deux grosses pattes noires poilues avec au bout des griffes.

-    Qu’est-ce que vous faîtes là ? Qui êtes-vous ? De quelle planète débarquez-vous ?!
-    En voilà des manières ! lui dit-il alors dans un sourire dévoilant de longues canines. Vous ne voulez pas me proposer du thé avant tout ?

-    Vous… quoi ?! répondit-il, déstabilisé par ce qu’il venait de dire.
-    Bah alors l’humain… on n’a pas d’humour ?
-    D’habitude je suis le premier à rire mais vous comprendrez qu’une chose débarquant d’un coup en pleine nuit chez moi ça me laisse assez sur le cul…
La « chose » ria. Le son qui sortit de sa gueule ressemblait au cri d’un loup qu’on aurait chatouillé.
-    Tu as très certainement déjà entendu parler de moi: je suis le Monstre Caché Sous Le Lit.
Le jeune homme plissa le front… qu’est-ce que c’était que ce délire ?
-    Heu oui on m’a déjà parlé de toi mais je croyais que c’était des conneries que les enfants s’inventaient pour se terrifier sans aucune raison.
-    Hé bien non… j’existe vraiment mais ce qu’on raconte sur moi est faux. Je ne suis pas là pour les effrayer mais pour les aider à dormir. D’ailleurs, je m’occupe aussi des adultes. Mon but est de prendre soin de vous, pas le contraire.

L’humain leva un sourcil.

-    Pourquoi on t’appelle le Monstre alors ?

L’intéressé leva les yeux en l’air et s’essaya sur le lit.

-    Allons allons évitons les préjugés ! Je suis un Monstre mais un gentil ! Ce n’est pas parce que je ne ressemble pas à un ange que je suis un démon pour autant…
-    Mouais… je ne suis pas convaincu… je trouve que s’infiltrer dans la chambre des gens en pleine nuit c’est pas ce qu’il y a de plus rassurant…
-    Roh… il ne faut pas penser à mal tout de suite !
-    Non non mais je dis juste mon point de vue…
-    C’est vrai que ça a l’air étrange mais c’est le seul moyen que j’ai pour venir dans ce monde. Mon patron veut pas m’ouvrir d’autres passages il me dit que ça coûte trop cher puis bon nous aussi on connait la crise…
-    Ha ouais tu viens carrément de tout un autre monde ?!
-    Bah ouais, j’apparais d’où d’après toi ?
-    Heu je sais pas… à vrai dire depuis cinq minutes je ne croyais pas en l’existence des monstres…
-    Hé bah pourtant il existe un monde avec que des Monstres comme nous ! D’ailleurs, nous travaillons tous pour la plupart sur le vôtre.
-    Ha ouais ? Comme quoi ?
-    Oh pour la plupart c’est de l’exploration.  Ils récoltent des informations à propos d’un lac ou d’un monde polaire par exemple. En fait, vos plus grandes entreprises connaissent secrètement notre existence et nous embauche pour visiter ou espionner des lieux qu’eux ne peuvent pas faire pour des motifs portant souvent sur la diplomatie politique…

Le jeune homme resta bouche bée.

-    … tu m’en apprends dis donc ! Mais si c’est aussi confidentiel que ça pourquoi tu me le dis alors ?
-    Parce que tu vas oublier tout ce qu’on s’est dit à ton réveil.
-    J’ai… j’ai enfin réussi à m’endormir ?
-    On va dire que je t’ai beaucoup aidé à le faire.
-    Mais t’as fait comment ? J’ai tout essayé.
-    Je te l’ai déjà dit : je suis le Monstre Caché Sous Le Lit. Je ne peux qu’apparaitre que dans vos rêves et là plupart du temps vous dormez sur votre lit, d’où mon nom. Mais pourquoi mon patron a-t-il préféré me faire apparaitre sous le lit plutôt qu’un endroit plus logique comme devant la porte de la chambre ? Je n’en sais rien. Il a toujours eu les idées pas nettes… mais c’est un bon dirigeant. Quoi qu’il en soit, mon rôle, mais je te l’ai déjà dit, est d’aidé les humains à dormir. Vous êtes tellement insomniaques qu’on m’a embauché pour combler vos problèmes nocturnes. Je suis là pour restructurer ton esprit, à lui montrer le chemin qu’il doit emprunter pour arriver dans les songes. J’ai eu assez de mal avec toi mais j’y suis parvenu puisque tu arrives à me voir et à me parler. D’ailleurs, j’en ai fini et je vais partir m’occuper de quelqu’un d’autre…

Il se leva.

-    Attends ! l’interpella le jeune homme. Si je vais tout oublier alors comment ça se fait que les enfants se souviennent de toi ?
-    Oh ça ? Rien de plus logique : je n’utilise pas mon pouvoir d’amnésie sur eux de peur d’abimer leurs rêves. Le problème c’est qu’en se réveillant ils croient que je leur ai voulu du mal tout ça parce que je n’ai pas le physique facile… les enfants se font souvent bernés par les apparences c’est bien connu. Bon j’y vais…

Il s’accroupit, prêt à retourner de là où il était apparu.

-    Attends encore !

Il s’arrêta et ressortit légèrement sa tête.

-    … oui ?
-    Comment tu t’appelles ?
-    Sacku.
-    Tu me promets de revenir me voir, Sacku ?
-    Pas de problèmes… j’ai apprécié notre conversation l’humain.
-    Oh mais j’y pense… je vais aussi t’oublier quand tu reviendras dans mes rêves ?
-    Non parce que mon pouvoir d’amnésie ne marche que quand on est réveillé.
-    Oh bah c’est super !
-    Héhé… tu l’as dit. Allez, à la prochaine !

Puis il disparut entièrement en dessous du lit.
 


La sonnerie du réveil obligea le jeune homme à ouvrir les yeux : il était 10h. Il se mit en tailleur sur le lit et se gratta les cheveux... pourquoi avait-il le mot Sacku dans la tête ? Il haussa les épaules puis se leva pour prendre son petit-déjeuner.

Dimanche 13 février 11

En collaboration avec Alexandre dont son texte, étroitement lié avec celui-ci, était disponible sur son blog... qui n'existe plus !

Une fois arrivés à l’entrée de la petite gare, la mine grave, il tira sur son mégot avant de le jeter d’une pichenette au loin. Dans un vol plané, calculé même, la cigarette usée s’écrasa à proximité d’un pigeon qui la picora mécaniquement sans se douter une seule seconde qu’il avait été pris pour cible. Le jeune homme, intérieurement insatisfait, voulut dégager sa mèche blonde rebelle qui s’était encore mise devant ses yeux mais sa petite amie le fit à sa place dans un geste presque lent qui montrait que quelque chose n’allait pas. La sentant triste, il se pencha, lui caressa la joue… et jeta un vif coup d’œil à son décolleté avant de se coller contre elle. Elle était si bonne… quel dommage ! Il en aurait bien profité encore un peu avant quelle parte.

La nouvelle était tombée d’un coup sans prévenir. Ses vieux l’avaient appelé en lui proposant d’être la secrétaire du patron de la boîte la plus connue du pays. Salaire confortable, chauffeur et appartement de fonction offerts, voyages d’affaires aux États-Unis et au Japon compris… c’était là le job en or que tout le monde aurait aimé avoir. Ses parents l’avaient trouvé par l’intermédiaire de relations apparemment très haut placées… un ministre serait même intervenu, faut dire ! Il y avait vraiment de quoi faire rêver n’importe qui. Ça ne l’avait d’ailleurs pas étonné quand elle leur a dit qu’elle acceptait. Lui, il en aurait bien fait autant à sa place. Le seul hic était que ce bout de Paradis se trouvait à Paris et il n’était pas du tout prêt à quitter la vie qu’il s’était fait ici pour une autre... bien que celle-ci était pleine de promesses.

Elle, faut dire que la province ça ne lui plaisait pas trop. Il le savait parce qu’il avait couché avec cette beauté suffisamment de temps pour connaître à peu près tout d’elle. Assez intelligente, voir beaucoup, elle avait quitté la capitale il y a deux années de ça pour poursuivre ses études dans le coin. Apparemment, la ville recueillait en son sein une école très bien réputée au niveau national et la sélection y était vachement rude. Ça ne lui avait pourtant pas posé de gros problème puisqu’en passant le concours elle était arrivée en première place.

Quand elle lui avait raconté ça d’ailleurs, il ne l’avait pas montré mais il en était resté sur le cul. Faut dire que lui il n’avait même pas eu son bac et il enchaînait les petits boulots par ci et par là et arrivait à chaque fois à les conserver au mieux cinq mois. Il s’était toujours demandé pourquoi une fille comme elle s’était mise avec un gars pour lui. Elle était si sérieuse, si propre, si émotive alors qu’il était pour sa part inconscient, plutôt sale et cœur de pierre. Sans doute était-ce là l’exemple de l’une de ces conneries racontant que les gens étaient toujours attirés par leur contraire.

Quoi qu’il en soit, cela faisait maintenant quelques mois qu’il avait réussi à la mettre dans son lit et à la faire rester. C’était étrange parce qu’à chaque fois qu’il couchait avec l’une de ces proies, chassées pour la plupart gracieusement en boîte la nuit, elles s’enfuyaient avant le lever du soleil… ce qui ne le dérangeait pas d’ailleurs puisqu’il ne tenait qu’à leurs délicates formes. Ses potes l’appelaient Don Juan et il tenait à ce titre. Sauf qu’elle, contrairement aux autres, était encore à ses côtés quand il s’est réveillé puis elle est restée les autres jours. Au début, ça l’avait fait un peu bizarre de se voir en couple puis finalement il l’avait accepté en se disant que le jour où il en aura marre d’elle, de ses yeux verts, de sa chevelure brune, de son parfum sucré mais, surtout, de son corps de rêve, il lui dira d’aller se faire voir ailleurs. Jour qui ne vint pas vraiment étant donné que c’était elle qui partait en le laissant ici.

Il ressentit une curieuse sensation. Qu’est-ce que s’était ? Il n’en avait aucune idée. Une voix mécanique résonna soudain à l’intérieure de la gare, le tirant de ses pensées : « TGV n°5647 en direction de Paris, départ à 9h02, voie n°2 ». Il se détacha alors lentement d’elle et regarda sa montre : il était 8h55. Il ne restait plus que quelques minutes avant que son train parte direction la capitale.

-    Il faut qu’on aille vers ton train sinon tu risques de te louper, l’informa-t-il. Tu n’as pas oublié ton billet hein ?
-    Non non… répondit-t-elle, presque éteinte, en montrant mollement le ticket.

Il lui prit son sac et sa main et glissèrent à l’intérieur d’une construction humaine qui avait mal vieillie avec le temps. Elle paraissait si vide que, s’il n’y avait pas eu d’autres voyageurs parmi eux, comme les deux autres là-bas qui avait failli leur rentrer dedans dans la précipitation, et qui se disaient maintenant au revoir, il aurait crû que cet endroit avait été abandonné depuis belle lurette. Ils traversèrent le hall, entendant l’annonce se répéter curieusement plus fois d’affilée, et arrivèrent vers les voies qui étaient incroyablement au nombre de… deux. Ils s’immobilisèrent et observèrent le train. « Les passagers du TGV n°5647 sont priés d’embarquer, départ dans deux minutes, voie n°2 ». C’était l’heure. Fallait qu’elle parte.

-    Rémi… l’appela-t-elle en larmes.
-    Ne me dis rien Lisa, dit-il alors dans une voix qui était moins rassurante qu’il le voulut.
Il approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa. Sa poitrine s’enflamma et les battements de son cœur s’accélèrent. Que lui arrivait-il ? Lui, le Don Juan, serait-il… ? Non, ce n’était pas possible, il devait être malade. Leur baiser ne dura qu'un court temps, trop court même à son goût.
-    Je t’appellerai ce soir, lui lança-t-il. Allez va-y Lisa ! Vite !

Les yeux verts toujours humides, elle se retourna et courut vers le train du mieux qu’elle pouvait. Bizarrement, c’était lui qui était essoufflé. Elle rentra dans l’une des voitures, la trois plus précisément. Une sonnerie se fit entendre et la porte par laquelle elle était montée se referma derrière elle. Il cru que ses entrailles allaient exploser mais ne laissa paraitre rien. Le train quitta la gare doucement. Il n’arrivait plus à respirer. Un instant plus tard, il ne le vit plus. Il semblait qu’il allait mourir... il sentit quelque chose sur ses joues : il pleurait.

Il se reprit et regarda autour de lui : il n’y avait presque plus personne. Tant mieux, il n’aurait pas aimé qu’on le voit dans cet état. Alors qu’il était sur le point de partir, il réalisa qu’il avait encore son sac avec lui. Merde ! Pris de panique, il se demanda comment il allait faire pour lui rendre tout en se rongeant les ongles. Tout à coup, une réponse lui arriva en tête. Aussi simple que bonjour. Il glissa sa main dans sa poche, sortit son portable et appuya sur les touches du clavier :

« J’ai oublié de te donner ton sac. Ne t’inquiètes pas, je prendrais le train de demain et je te l’apporterai ».
Il envoya le message, un petit sourire sincère au coin des lèvres. Il l’aimait et, qu’il le voulait ou non, il ne pouvait rien y faire. Il sentait que c’était la bonne, que c’était avec elle qu’il allait vivre sa vie. Paris ne lui faisait plus peur. Il allait la rejoindre et ils allaient vivre heureux ensemble.

Pris d’une douce ivresse, il se dirigea vers la sortie et posa le sac vers un banc situé à sa droite. Il s’alluma une clope et s’assit. Il leva la tête et jeta ses yeux azur au dessus de lui. Les rayons du soleil s’illuminaient de plus en plus et semblaient chasser les nuages au loin. Il trouva ce paysage magnifique.

L’un des deux gars qui avait failli les renverser tout à l’heure se mis à côté de lui. Il paraissait triste. Il ne dit rien et regarda par la suite une plume jouer avec le vent en face d’eux avant de se poser avec élégance sur la page d’un carnet noir ouvert et abandonné sur le sol.

Dimanche 23 janvier 11

Dans une salle d’attente pleine à craquer, cela faisait un bon moment que l’ectoplasme attendait son tour, avec un numéro inscrit sur un papier. La pièce était d’une taille impressionnante et était composée d’une matière bleue bizarre qui permettait de faire tout et n’importe quoi. Il suffisait de façonner la substance tout ayant en tête ce qu’on voulait faire d’elle. C’était la seule que les esprits ne pouvaient pas transpercer. Pour concevoir il fallait se souvenir d’un matériel qu’on a côtoyé dans nos vies passées.

En effet, la planète sur laquelle se trouvait le spectre était, contrairement à d’autres qui abritaient la vie, la seule dans l’Univers à avoir comme habitants des morts. C’était une sorte de monde « recyclage » : on récupérait les esprits de n’importe quelle espèce, de la plus intelligente à la plus bête, lorsqu’ils trépassaient puis ils étaient envoyés ici sous forme de fantômes. Ils avaient alors deux choix : soit de rester pour travailler dans l’administration, car il en fallait une pour gérer toutes les vies, soit de prendre rendez-vous avec un Placeur comme l’avait fait notre ectoplasme.

Ce dernier avait pour rôle de les accompagner à leur prochaine vie. Pour cela, il prenait en compte leurs critères et s’assuraient de présenter l’espèce qui correspondrait le plus fidèlement à leurs goûts. C’était un poste pourvu de très grandes responsabilités et seul un esprit ayant parcouru au moins mille vies pouvait proposer sa candidature.
Une porte s’ouvrit et un Placeur se montra dans la pièce.

-    Au tour du numéro 317 s’il-vous-plait.

Le spectre alla jusqu’à lui et le Placeur l’invita à rentrer dans son bureau. Une étrange machine était disposée sur un meuble avec tout plein de dossiers à côté. Le fantôme la regarda avec intrigue tandis que le Placeur referma derrière lui la porte.

-    C’est de la technologie provenant de la Planète Agma, informa ce dernier. Ça s’appelle un Sensoriel. Dites à haute voix vos critères de sélection et il vous proposera ce qu’on a de mieux dans notre catalogue.
-    C’est génial mais… vous n’avez pas peur que ça vous remplace ? demanda l’esprit.
-    Oh, vous savez ! Ce que fait le Sensoriel n’est qu’une des nombreuses fonctions que nous effectuons au quotidien ! Nous devons aussi nous assurer par la suite que le corps dans lequel vous êtes placés est le bon, que vous ne faîtes pas de rejet, que vous revenez à bon port. Je ne suis au bureau qu’un tour de l’Etoile XYZ sur cinq seulement, je passe le reste de mon temps à l’extérieur. Bon, ce n’est pas ça mais comme vous l’avez constaté il y a foule aujourd’hui ! Dites-donc ce que vous voulez au Sensoriel.

L’ectoplasme hésita.

-    Je voudrais quelque chose d’original, de neuf. Une vie qui ne manque pas de piquent, qui saura m’apporter une expérience sans précédent.

Le Sensoriel projeta en hologramme un insecte rouge qui devait bien fait 3 mètres de haut, composée de 8 pattes placés un peu partout sur son corps. Le Placeur donna un peu plus d’informations.

-    Vous avez là un « Lanogürk ». C’est une espèce de guerriers qui très courageux combattant pour leurs valeurs. La vie que vous bénéficierez vous permettra d’assimiler des techniques de combat très impressionnants. Par contre, la durée de vie n’est que de 25 ans environ.
-    Bah en fait… heu… je l’ai déjà fait.
-    Ha ! s’exclama-t-il. Pardonnez-moi, j’ai oublié de consulter votre dossier ! Pourtant, quand vous m’avez appelez pour prendre rendez-vous, je l’avais sorti… faut dire que c’est le bordel…

Il fouilla dans le tas entreposé et trouva le nom « MZJZ XJOA 478 » sur l’un d’entre eux. Il était plus volumineux que les autres. Il l’ouvrit, feuilleta quelques pages.

-    Hé bé ! sifflota-t-il d’un air admiratif. Vous en avez eu des vies ! Plus que moi d’ailleurs ! Vous savez que vous pourriez devenir facilement Placeur ?
-    Je sais mais ça ne m’intéresse pas. Je préfère l’exploration.
-    Je vous comprends. Bon… on va bien trouver quelque chose pour vous ! Pouvez-vous préciser votre recherche ?
-    Je recherche la vie la plus extraordinaire qu’elle soit. Je veux découvrir et faire tout ce que je n’ai pas fait jusqu’à présent. Je ne recherche pas spécialement de pouvoirs ni d’une durée de vie spécialement longue…

Le Sensoriel lui présenta un gros monstre bleu à 15 yeux du nom « Shbirma ». Celui-ci pouvait voir de très loin et adorait regarder ce qu’il y avait derrière les étoiles. Le Placeur lui expliqua un peu plus profondément son produit.

-   ... il vous permettrait, en gros, de voir ce qu’aucune vie jusque là ne peut observer, même avec les machines les plus puissantes qu’il puisse exister.

Mais le spectre refusa aussitôt en lui indiquant qu’il l’avait déjà fait. Le Placeur lui proposa alors une autre espèce mais reçut la même réponse. Une trentaine de propositions plus tard, le Placeur souffla d'épuisement.

-    Vous êtes un difficile, vous ! Mais puisque vous êtes un très bon élément j’ai peut-être quelque chose à votre goût. Le Sensoriel ne vous l’a pas donné car ce n’est pas à la portée de n’importe qui.

Il retourna vers le bureau et sortit d’un tiroir une feuille. Il la présenta à l’ectoplasme.

-    Cette espèce est très étonnante. Sans pouvoirs et d’une très grande fragilité physique, elle a malgré tout réussi à s’épanouir dans un environnement qu’elle s’est appropriée à une vitesse folle. Ses capacités d’évolution sont énormes ! Vous pourriez faire avec elle beaucoup de choses qui dépassent l’imagination ! Contrairement à beaucoup d’autres espèces, n’importe quelle vie avec cette race est différente selon les individus. Les conditions sont aléatoires, les chances de survie avec. Par contre, faîtes attention, ce sont de très grands émotifs.
-    Woaaa ! Je veux ça ! Comment ça s’appelle ?
-    Un Humain.
-    Très bien… j’accepte !
-    Parfait ! Permettez-moi de vous rappeler quelques informations de base puis ça sera terminé. Vous devez les connaitre par cœur mais c’est une formalité qu’on ne peut pas passer.
-    Pas de problèmes !
-    Alors, vous allez bien entendu tout oublier : toutes vos vies précédentes, l’existence de la planète sur laquelle nous sommes, ainsi que votre nom originel. Vous commencez votre vie à la naissance de l’espèce que vous avez choisie. Vous reviendrez ici lorsque la mort prendra votre dernier souffle. Tout incident technique sera résolu au plus vite par nos services. Voilà, vous savez à peu près tout. Je vous souhaite une agréable vie ! Et un bon courage aussi !
-     Hé bien merci !

Il donna alors un coup de tampon au dossier. Aussitôt, l’esprit se fit de plus en plus transparent puis disparut.

Le Placeur déposa par la suite le dossier sur le bureau puis ouvrit la porte.

-    Numéro 318 s’il-vous-plait.

Vendredi 14 janvier 11

« Il a placé son cœur dans une ombre. »

Face à l’expression interrogative de son fils, le père s’expliqua.

« C’est cacher dans l'obscurité ce qu’on a de plus humain mais aussi de plus vulnérable. Ça nous donne la sensation d'être protégé car personne ne peut voir ni atteindre les maux qui nous font souffrir et qui nous rend si faibles.

« Gare à celui qui commet ce geste car, privé de lumière trop longtemps, le cœur finit par s'éteindre et tuer l'homme qui le porte sans le faire mourir. La Faucheuse ne s’est jamais intéressée aux vies sans âme.

«Tu reconnais un homme qui a placé son cœur dans une ombre quand il a accepté d'oublier le sourire et l'amour pour se réfugier au plus profond de lui. Ses yeux perdent alors de leur éclat et ne brillent plus, laissant place à une effrayante noirceur. Elle est aussi sombre que l'ombre collée dans sa poitrine. »

« Comment tu sais tout ça ? » demanda le jeune homme.

« Il y a quelques années, un de mes amis perdit sa femme dans un accident de voiture. Au grand étonnement de tous, il ne la pleura pas quand on l’enterra. On murmura alors dans son entourage qu’il ne l’avait jamais aimé. Pire : qu’il avait même endommagé la voiture pour provoquer l’accident. La vérité est qu’il ne voulait pas admettre la mort de sa bien-aimée. Pour lui, c’était impossible qu’elle ne soit plus dans le même monde que lui. Elle n’était tout simplement pas rentrée à la maison. Il se réconforta dans cette illusion en dissimulant son cœur dans le noir. Au cimetière, ce n’était pas sa Julie qu’on mettait dans la terre, non : c’était forcément une autre sauf que celle-ci lui ressemblait beaucoup, c’est tout. Plus personne ne le revit par la suite, pas même les plus proches de sa famille.

« Un an plus tard, non seulement on le revit en chair et en os, mais en plus de ça, avec le sourire aux lèvres. Je n’en revenais pas. Curieux, je m’étais  demandé comment il avait pu retrouver autant de joie de vivre. C’est alors que je m’aperçus qu’un étrange individu, que je n’avais jamais vu jusqu’alors, apparaissait souvent à ses côtés. Un jour, j’ai voulu satisfaire ma curiosité en lui proposant un café. Il accepta.

« Il m’annonça qu’il pratiquait la médecine mais pas n’importe laquelle: celle des ombres. Sa mission était de guérir les cœurs entachés d’ombres. Il me raconta en détails tout ce que je t’ai dit. Avant de me quitter, il me laissa sa carte de visite. »

« Tu l’as toujours ? »

« Elle doit quelque part là… » il fouilla dans quelques tiroirs à proximité avant de donner à son fils un petit carton noir. Il y était écrit en lettres blanches :

Docteur Hamston,
Médecine par les ombres.

 « Je vais aller le voir », déclara-t-il en remarquant l’adresse sur le dos de la carte. « Peut-être qu’il pourra faire quelque chose pour lui. »

Le père reprit la carte et regarda lui aussi où habitait le docteur.

« Ce n’est pas à la porte d’à côté... »

 Il hésita un moment puis déclara :

« C’est d’accord, je te laisse y aller. Je serai bien venu avec toi mais le travail m’en empêche. J’achète ton billet de train demain. »

Après ces mots, le père quitta le salon. Matteo s’avança alors doucement vers la chambre où reposait son cousin. Il dormait.

« Tout va s’arranger » lui murmura-t-il. « Je te le promet ».

Lundi 20 décembre 10

-    Alors, toujours en train de songer ?

Adossé de tout mon long contre le piano noir, je ne sursaute pas. Je l’ai senti arriver. Le froid me parcourt, me fait frissonner. Il a toujours adoré faire baisser la température de la pièce. Je fais comme si de rien n’était, serre un peu plus mes doigts autour du verre et le porte à mes lèvres. Le précieux liquide me donne une sensation de chaleur.

-    Je commence à croire que tu as un sérieux problème avec l’alcool.

Je n’ai pu m’empêcher de rire jaune. Ce souci n’est pas vraiment le premier que j’ai en tête. Il le sait mais fait mine de rien. Je l’entends s’approcher. D’un geste mou, je me redresse et me retourne. Sa gueule de monstre m’apparait une fois encore comme un éternel cauchemar. De deux mètres de haut plus exactement. Ses yeux couleur jaune vieilli me fixent, me pénètrent. Je retiens une grimace. La sensation d’être lu comme dans un grand livre ouvert n’est jamais agréable même avec l’habitude. Je déglutis malgré moi.

-    Que me vaut ta visite ?
-    Oh… pas grand-chose…


Il se penche et regarde d’un air fasciné l’instrument de musique. Je profite de son émerveillement pour poser mon verre par terre et l’interroger à nouveau même si je sais la réponse depuis le début.

-    Pas grand-chose… vraiment ?
-    Disons que je viens récupérer mon dû.


Je lève faussement un sourcil tout en portant mon attention au même endroit que lui. Je sens que quelque chose lui échappe, l’agace. Il n’aime pas quand les rôles sont échangés. Il cherche la ruse.

-    Tu n’avais pas ce piano auparavant…
-    C’est juste, je l’ai reçu il y a quelques jours.
-    Qui te l’a donné ?
-    Qu’importe…


Il dévoile dans un sourire ses crocs aiguisés.

-    Je t’aime bien, tu sais ?
-    Vraiment ?
-    Vraiment. Tu m’amuses.


Il disparait dans une fumée noire pour réapparaitre assis sur le piano tout près de moi. J’attends un peu puis lui pose une autre question. Une vraie cette fois.

-    Je peux jouer un morceau ?

Il se penche, approche ses yeux des miens, se relève. Je vois qu’il est perturbé.

-    Pourquoi pas…


Je fais craquer mes doigts et me concentre. Des images me viennent en tête.

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