Cela faisait des heures qu’il essayait de dormir. Il avait beau fermé les yeux et compter les moutons jusqu’à deux mille sept cents quatre-vingt-dix-huit, cela ne marchait pas. Il avait pourtant essayé tous les moyens qu’il connaissait : la télé, la musique, le verre de lait, la douche chaude et même la masturbation : rien à faire. Il fallait croire qu’il avait contrarié le marchand de sable.
Ne sachant plus quoi faire, il regarda bêtement son plafond et tenta alors de faire le vide complet dans sa tête en écoutant les petits bruits quotidiens qui l’entouraient… il entendit le moteur d’une voiture passant dans sa rue… le sifflement du vent glissant par la fenêtre… le Humpf ! d’une voix venant tout près de lui… un Humpf ! ?!
Il se leva d’un bond, partit allumer la lumière et fixa son lit en alerte. Il prit le premier objet qui lui vint dans les mains –sa guitare- et le leva en l’air prêt à mettre un coup s’il le fallait. Et soudain, il devint le spectateur d’une scène surréaliste : une chose rouge et noir avec des piquants rampa d’en dessous du lit et se mit debout. Ça devait bien faire deux mètres. Deux yeux jaunes le fixèrent. Curieusement, il n’en eut pas peur mais il n’en resta pas moins étonné de ce qu’il avait devant lui. Il s’approcha de lui, l’air menaçant bien que troublé tout au fond de lui. La « chose » lui parla d’une voix grave :
- Ne me frappez pas ! Je ne vous veux pas de mal ! lança-t-elle en faisant des signes avec ses deux grosses pattes noires poilues avec au bout des griffes.
- Qu’est-ce que vous faîtes là ? Qui êtes-vous ? De quelle planète débarquez-vous ?!
- En voilà des manières ! lui dit-il alors dans un sourire dévoilant de longues canines. Vous ne voulez pas me proposer du thé avant tout ?
- Vous… quoi ?! répondit-il, déstabilisé par ce qu’il venait de dire.
- Bah alors l’humain… on n’a pas d’humour ?
- D’habitude je suis le premier à rire mais vous comprendrez qu’une chose débarquant d’un coup en pleine nuit chez moi ça me laisse assez sur le cul…
La « chose » ria. Le son qui sortit de sa gueule ressemblait au cri d’un loup qu’on aurait chatouillé.
- Tu as très certainement déjà entendu parler de moi: je suis le Monstre Caché Sous Le Lit.
Le jeune homme plissa le front… qu’est-ce que c’était que ce délire ?
- Heu oui on m’a déjà parlé de toi mais je croyais que c’était des conneries que les enfants s’inventaient pour se terrifier sans aucune raison.
- Hé bien non… j’existe vraiment mais ce qu’on raconte sur moi est faux. Je ne suis pas là pour les effrayer mais pour les aider à dormir. D’ailleurs, je m’occupe aussi des adultes. Mon but est de prendre soin de vous, pas le contraire.
L’humain leva un sourcil.
- Pourquoi on t’appelle le Monstre alors ?
L’intéressé leva les yeux en l’air et s’essaya sur le lit.
- Allons allons évitons les préjugés ! Je suis un Monstre mais un gentil ! Ce n’est pas parce que je ne ressemble pas à un ange que je suis un démon pour autant…
- Mouais… je ne suis pas convaincu… je trouve que s’infiltrer dans la chambre des gens en pleine nuit c’est pas ce qu’il y a de plus rassurant…
- Roh… il ne faut pas penser à mal tout de suite !
- Non non mais je dis juste mon point de vue…
- C’est vrai que ça a l’air étrange mais c’est le seul moyen que j’ai pour venir dans ce monde. Mon patron veut pas m’ouvrir d’autres passages il me dit que ça coûte trop cher puis bon nous aussi on connait la crise…
- Ha ouais tu viens carrément de tout un autre monde ?!
- Bah ouais, j’apparais d’où d’après toi ?
- Heu je sais pas… à vrai dire depuis cinq minutes je ne croyais pas en l’existence des monstres…
- Hé bah pourtant il existe un monde avec que des Monstres comme nous ! D’ailleurs, nous travaillons tous pour la plupart sur le vôtre.
- Ha ouais ? Comme quoi ?
- Oh pour la plupart c’est de l’exploration. Ils récoltent des informations à propos d’un lac ou d’un monde polaire par exemple. En fait, vos plus grandes entreprises connaissent secrètement notre existence et nous embauche pour visiter ou espionner des lieux qu’eux ne peuvent pas faire pour des motifs portant souvent sur la diplomatie politique…
Le jeune homme resta bouche bée.
- … tu m’en apprends dis donc ! Mais si c’est aussi confidentiel que ça pourquoi tu me le dis alors ?
- Parce que tu vas oublier tout ce qu’on s’est dit à ton réveil.
- J’ai… j’ai enfin réussi à m’endormir ?
- On va dire que je t’ai beaucoup aidé à le faire.
- Mais t’as fait comment ? J’ai tout essayé.
- Je te l’ai déjà dit : je suis le Monstre Caché Sous Le Lit. Je ne peux qu’apparaitre que dans vos rêves et là plupart du temps vous dormez sur votre lit, d’où mon nom. Mais pourquoi mon patron a-t-il préféré me faire apparaitre sous le lit plutôt qu’un endroit plus logique comme devant la porte de la chambre ? Je n’en sais rien. Il a toujours eu les idées pas nettes… mais c’est un bon dirigeant. Quoi qu’il en soit, mon rôle, mais je te l’ai déjà dit, est d’aidé les humains à dormir. Vous êtes tellement insomniaques qu’on m’a embauché pour combler vos problèmes nocturnes. Je suis là pour restructurer ton esprit, à lui montrer le chemin qu’il doit emprunter pour arriver dans les songes. J’ai eu assez de mal avec toi mais j’y suis parvenu puisque tu arrives à me voir et à me parler. D’ailleurs, j’en ai fini et je vais partir m’occuper de quelqu’un d’autre…
Il se leva.
- Attends ! l’interpella le jeune homme. Si je vais tout oublier alors comment ça se fait que les enfants se souviennent de toi ?
- Oh ça ? Rien de plus logique : je n’utilise pas mon pouvoir d’amnésie sur eux de peur d’abimer leurs rêves. Le problème c’est qu’en se réveillant ils croient que je leur ai voulu du mal tout ça parce que je n’ai pas le physique facile… les enfants se font souvent bernés par les apparences c’est bien connu. Bon j’y vais…
Il s’accroupit, prêt à retourner de là où il était apparu.
- Attends encore !
Il s’arrêta et ressortit légèrement sa tête.
- … oui ?
- Comment tu t’appelles ?
- Sacku.
- Tu me promets de revenir me voir, Sacku ?
- Pas de problèmes… j’ai apprécié notre conversation l’humain.
- Oh mais j’y pense… je vais aussi t’oublier quand tu reviendras dans mes rêves ?
- Non parce que mon pouvoir d’amnésie ne marche que quand on est réveillé.
- Oh bah c’est super !
- Héhé… tu l’as dit. Allez, à la prochaine !
Puis il disparut entièrement en dessous du lit.
La sonnerie du réveil obligea le jeune homme à ouvrir les yeux : il était 10h. Il se mit en tailleur sur le lit et se gratta les cheveux... pourquoi avait-il le mot Sacku dans la tête ? Il haussa les épaules puis se leva pour prendre son petit-déjeuner.