Samedi 21 janvier 12

Un bouquet de fleurs –des belles roses acacias comme tu les aimes- à la main, je frappe doucement à la porte avant d’entrer, presque timidement, dans la petite chambre blanche. Allongée sur ce lit noyé de coussins défiant les couleurs du plus magnifique des arcs-en-ciel, tu sembles avoir été délicatement déposée là par quelques mains attentives et soigneuses, trop effrayées par l’idée de te bousculer ne serait-ce qu’un tout petit peu. Ta chevelure blonde, toujours aussi si volumineuse, si abondante,  s’est éparpillée un peu partout autour de ta tête, tel un soleil qui rendrait aveugle toute personne qui oserait contempler ton si beau visage à la peau nuage de lait.

Mais, moi, dressé juste devant toi, je suis resté pétrifier par ton regard émeraude foncé, pointé sur la fenêtre grandement ouverte.

Une légère brise en avait profité pour se glisser dans la pièce et bercer ses occupants de son parfum sucré de printemps doux. Est-ce pour mieux profiter de cette fraîcheur que tu avais tourné ta tête dans cette direction ? Ou est-ce pour mieux voir ce qu’il y a derrière la fenêtre ?

Au-delà de la fenêtre, un moineau, posé sur la branche d’un chêne, pousse son sifflement joyeux. Il fait sa toilette, réajuste les plumes de son minuscule corps fragile à l'aide de son petit bec. Est-ce pour mieux voir le joli spectacle de mère nature que ton regard s’est figé à travers la fenêtre ?

Au-delà des feuilles de l’arbre, la ville, grande et belle, s’anime peu à peu. De temps en temps, elle laisse apercevoir une voiture pressée sur l’une de ses routes, poussée par le temps qui passe. Est-ce pour mieux voir la vie urbaine des hommes que ton regard s’est figé à travers la fenêtre ?

Au-delà des bâtiments, le ciel, au feu d’or, s’écarte pour laisser entrer sur scène l’imposant soleil. De ses rayons brûlants, il souhaite montrer au monde que, sans lui, celui-ci serait rien. Est-ce pour mieux voir la prétentieuse étoile que ton regard s’est figé à travers la fenêtre ?

Est-ce pour mieux voir ce qui t’attends après la vie que ton regard, figé à travers la fenêtre, s’est éteint ?

Un bouquet de fleurs –des belles roses acacias comme tu les aimais- tombe sur le sol.

Vendredi 11 novembre 11

Je me souviens de notre première rencontre. C’était lors d’un après-midi doux de printemps. Le soleil berçait doucement le ciel de ses rayons chaleureux et la ville de Paris tout entière s’illuminait sous cette pluie de lumière accueillante. Derrière la vitre d’une boutique, rêveuse, je regardais ce temps magnifique qui semblait promettre une merveilleuse journée…  je ne doutais pas une seule seconde à quel point elle le serait tellement plus.
Car, alors que je me laissais distraire par le spectacle étonnant que pouvait offrir mère nature dans cet univers de goudron, qui n’avait laissé comme survivants que quelques arbres, un ange, toi, apparut juste devant le fonds de commerce. Tu venais à peine d’effectuer quelques pas sur le trottoir que tu t’arrêtas net en braquant tes yeux d’océan sauvage sur moi.

Stupéfaite, ton regard impudique me ramena brutalement sur terre dans la confusion la plus totale. Je n’arrivais pas à croire qu’un bel et magnifique inconnu s’était brutalement arrêté rien que pour me scruter, comme si j’étais la chose la plus précieuse sur cette planète. Moi qui, d’habitude, on regardait à peine !

Et soudain, sans prévenir, tu t’élanças dans le magasin avec le sourire aux lèvres. Tu accourus vers la patronne puis tu tentas de la convaincre, de vive voix, de me laisser partir avec toi. Sans la laisser répondre, tu déposas sur le comptoir une somme d’argent généreuse puis tu te précipitas vers moi pour me prendre sous le bras. Je ne savais comment réagir ni même quoi penser de cette rencontre si rapide, si spontanée ! Mais, malgré moi, séduite par ton culot hors du commun, je me pris au jeu et nous partîmes du magasin.

Tu me parlas de toi, de ta vie, de ce que tu aimais beaucoup, de ce que tu aimais moins, du métier que t’exerçais, sur les études que tu avais menées pour le décrocher, sur l’importance que tu apportais à celles de mon genre et de tout plein d’autres choses que je pourrais aujourd’hui répéter sans changer le moindre mot, tellement que tes phrases étaient si captivantes, si vivantes.

Au bout de cette marche parisienne enrichie de tes conversations grandioses, tu m’emmenas chez toi, me fit découvrir l’appartement où tu vivais confortablement. Tu m’expliquas que cela t’avait pris de temps pour l’avoir mais que, tant bien que mal, tu y étais enfin parvenu. Puis, toujours de manière spontanée, tu m’avais montré ta chambre, ton lit, avant de glisser une main à l’endroit qui voulait insinuer tellement de choses… mais la suite fut beaucoup moins subtile.

Je n’oublierai jamais notre première fois aussi imprévisible que merveilleux. Tes doigts expérimentés me parcourant tout le long… la passion que tu mettais pour me prendre de manière si délicate, si sensuelle… la façon dont tu étais parvenue pour m’électriser dans tout mon être… l’extase que j’avais alors ressenti à ce moment-là aurait rendu jalouse plus d’une.

Après cela, je suis resté définitivement chez toi et les mois s’écoulèrent rapidement, laissant place à des scènes qui se ressemblaient peut-être mais qui me remplissaient de joie. Tu partais chaque matin au boulot, le cœur déchiré à l’idée de te séparer de moi… avant de me retrouver le soir tout excité, absorbé par tout ce que j’étais. Oui… ce fut là les plus beaux jours de ma vie.

Mais, petit à petit, le quotidien entra en jeu et, toujours petit à petit, les choses changèrent, se dégradèrent, avant de s’empirer considérablement. Au début, tu me regardais avec envie et désir… à la fin, tu me dévisageais comme si j’étais la simple cuvette de tes toilettes… mais je suis certaine que tu lui accordais beaucoup plus d’intérêts. Tu le ressentais au moins que je me sentais complètement perdue, tellement malheureuse ? Tu pouvais le savoir au moins ? Je n’en étais pas sûre…  puis, comme pour achever le peu d’espoir que j’avais encore un peu pour nous deux, tu débarquas un jour avec elle.

Elle. Plus grande, plus belle, plus attirant, plus tout. Tu n’avais des yeux que pour elle. Tu lui avais sorti les mêmes mots, les mêmes gestes que tu avais eus pour moi. Je n'arrivais pas y croire. Puis, en ne faisant même pas attention à ma présence, tu avais commençais à la tripoter par ci et par là… juste devant moi ! Mais, alors que tu étais sur le point d’entamer une partie de folie avec cette chose insignifiante, tu me remarquas enfin et, sans aménagement, tu me jetas dehors comme une merde.

... tu sais que cela fait une semaine maintenant que je suis là, en bas de ton immeuble ? À t’attendre ? À me dire que tu vas te dire qu’elle ne peut être qu’une erreur ? Que celle qui doit partager ta vie c’est pas elle mais moi ? Presque morte de l’intérieur, une petite voix au fond de moi me souffle que tu ne reviendras pas. Qu’entre nous c’est définitivement fini. Qu’il serait mieux de t’oublier. Mais, pour le moment, je n’y arrive pas et je ressasse en boucle ces souvenirs qui ressemblent à des rêves lointains.

Le seul petit sourire qui me vient parfois aux lèvres est dans les moments où je pense qu’un jour cette connasse de Wii connaitra le même sort que moi, ta Gamecube, qui, malgré tout ce que tu lui as fais, t’attends encore, dehors, en bas de chez toi.

Mercredi 21 septembre 11

Laetitia remit correctement le sac sur son épaule avant de s’engouffrer dans la bouche de métro. Elle se situait plus exactement à la station École Vétérinaire de Maisons-Alfort, station qui se trouvait d’ailleurs juste à côté de son appartement. Idéal pour mes activités, pensa-t-elle.

Elle descendit lentement un premier escalier, sortit son Pass Navigo Imagine’R, passa le portique, et se dirigea sur la gauche direction Balard. Le matin, il y avait beaucoup plus de voyageurs qui se rendaient à Paris, la capitale, qu’à Créteil, la banlieue. Il était donc plus intéressant pour elle, économiquement, d’aller de ce côté-là.

Soudain, alors qu’elle venait d’entamer doucement le second escalier menant sur le quai, un énorme vacarme annonça l’arrivée du train. Autour d’elle la foule, qui gesticulait déjà beaucoup, s’agita encore plus vite et se précipita pour descendre, comme si elle mettait tout-à-coup sa vie en jeu. Mais Laetitia, quant à elle, ne pressa pas le pas. Au contraire, elle prit même un peu plus son temps en posa délicatement ses pieds sur chacune des marches.

Un homme d’une trentaine d’années, costume-cravate, déboula d’un coup derrière elle et la bouscula brusquement, réussissant presque à la faire tomber.

- Putain ! cria-elle, énervée en se remettant droite. Vous pouvez faire attention !

L’homme, sans se retourner, lui répondit par un élégant doigt d’honneur tout en continuant sa course folle.

Elle fit les gros yeux puis inspira un bon coup. Bon… ce n’était pas grave et elle avait d’autres chats à fouetter. Elle n’allait pas en faire toute une histoire qui ferait perdre du temps. Elle frotta son épaule endolorie puis mit sa main dans la poche de sa veste pour en sortir une montre. Plus grosse que la moyenne, sans bracelet, le contour ainsi que le dos étaient de couleur cuivre. A l’intérieur du cadran, on pouvait y voir deux banales aiguilles –une grande pour les minutes, une petite pour les heures- ainsi qu’une banale trotteuse. Au premier coup d’œil, la montre ne semblait pas se démarquer des autres, si ce n’étaient les chiffres inscrits non pas en chiffres arabes mais en chiffres romains. Pourtant, Laetitia la regardait, la caressait... Comme s’il était l’objet le plus précieux au monde. Elle entendit le train s’arrêter et ouvrir ses portes. Il était dix heures vingt-cinq minutes et trente neuf secondes. Dix heures vingt-cinq minutes et quarante secondes. Dix heures vingt-cinq minutes et quarante et une seconde. Elle appuya sur un petit bouton sur le haut de la montre.

Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-deux secondes et elle n’entendait plus un seul bruit. Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-deux secondes et elle ne vit plus un seul mouvement. Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-deux secondes et avec un seul doigt elle venait d’arrêter le temps.

Elle remit la montre là où elle l’avait sorti puis continua sa descente en toute tranquillité en esquivant tous ces excités qui, devenus figés, imitaient désormais très bien les statues. Arrivée en bas, elle entra dans le wagon le plus proche et scruta ce qu’elle avait autour d’elle. Comme une louve sur un terrain de chasse, elle analysa chacun des proies du troupeau et chercha celle qui pouvait tomber facilement entre ses griffes.

Son regard s’arrêta sur une soixantenaire assise à sa droite et qui, en raison de tous les bijoux qu’elle portait à son cou, ses poignets et ses doigts, ne pouvait être qu’ « une vieille bourgeoise pétée de thunes » (c’était ses mots). Elle remarqua alors son sac rouge posé sur ses genoux. Elle s’approcha d’elle, l’ouvrit, tout en faisant attention de ne pas la toucher car, même si le temps était suspendu, n’importe qui pouvait ressentir le contact physique dès que le temps reprenait son cours, et pouvait, surtout, se douter de quelque chose.

Et c’est ce que Laetitia craignait le plus. Il ne fallait surtout pas qu’une seule de ses actions se répercute de manière anormale sur son environnement. C’est pourquoi elle ne prenait que des choses dont leur absence pourrait se faire passer pour un oubli ou une perte mais jamais pour une disparition magique. C’est pourquoi, paradoxalement, ceux qui exhibaient leurs objets de valeur n’avaient aucune chance de se les faire voler… du moins pas avec elle.

Elle fouilla avec précaution dans le sac et elle toucha un portefeuille assez volumineux. Elle le sortit avec délicatesse et le déplia… bingo ! Elle le mit dans son sac puis ferma –toujours avec soin- celui de la vieille femme avant de dépouiller deux-trois autres personnes.

Satisfaite de son butin –deux portefeuilles, un walkman d’une grande marque et un téléphone dernier cri-, elle s’apprêtait à sortir quand elle aperçut un peu plus loin l’homme d’affaires qui avait osé la pousser sans s’excuser et, pire, l’avait même insulté avec son majeur ! Elle s’avança vers l’irrespectueux et lui mis une grosse claque. Tant pis pour le principe de non-contact, se dit-elle. Il l’avait bien mérité ce connard !

Après s’être assurée que tout était bien mis à la même place qu’à son arrivée, Laetitia quitta le train, remonta l’escalier pour se remettre au même endroit ainsi qu’à la même position qu’auparavant. Elle ressortit la montre et appuya à nouveau sur le bouton.

Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-deux secondes et les sons reprirent leur place dans le silence. Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-trois secondes et la vie reprit de plus belle. Il était dix heures vingt-cinq minutes et quarante-quatre secondes et avec un seul doigt elle venait de relancer le temps.

Elle (re)descendit l’escalier, arriva (à nouveau) sur le quai. La sirène d’alarme venait de se déclencher et préféra, par prudence, attendre le prochain train.

- Le temps c’est de l’argent ! conclut-elle, le sourire aux lèvres, en voyant l’homme d’affaires se frotter la joue avec une grimace.

Mardi 19 juillet 11

Assis au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, j’attends. Je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, j’attends.

Je n’ai aucune raison d’être là, assis au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, j’attends.

De plus, ici, la couverture gazeuse de la Terre s’échappe. Et, à force d’être assis là, sans aucune raison, au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, à attendre, je commence à avoir froid.

La température basse serait supportable sans cet appel à la nourriture qui se déclare de plus en plus fort dans mon ventre. Et, à force d’être assis là, sans aucune raison, au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, à attendre, je commence à avoir faim… et froid.

Toutefois, ce n’est rien face à ce poids sous mes paupières qui font ressembler ces dernières à des parachutes. Et, à force d’être assis là, sans aucune raison, au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, à attendre, je commence à avoir sommeil… et froid et faim.

Et encore, j’ai oublié de vous parler de ce nez qui n’arrête pas de se boucher pour un oui ou pour un non. Et, à force d’être assis là, sans aucune raison, au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, à attendre, je commence à avoir une santé fragile… et froid et faim et sommeil.

Mais, à force d’attendre, assis au bord du monde, avec comme compagnie mentale les plus belles notes de piano, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi, et, pourtant, à attendre, à en avoir et froid et faim et sommeil et une santé fragile, j’ai bien peur de me plaindre et de me répéter un peu.

Mercredi 6 juillet 11

Tout est lumineux dans ma nuit, là où personne ne peut m'atteindre. J'y prends souvent une étoile, que je frotte contre une autre pour qu'elle brille d'un plus bel éclat, avant de la projeter dans l'infini céleste en faisant un vœu. Toujours le même.

Pourquoi l'amour est-il électrique ? Pourquoi nait-il par un coup de foudre ? S'achève-t-il dans un orage ? J'ai beau demandé aux astres ce qu'ils en pensent, leur réponse n'est qu'un silence désastreux.

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