Vendredi 27 septembre 13

Pour Lætitia. Le thème: « La pluie qui chauffe ».
 


Le temps a passé vite. Trop vite.

Dehors, les gouttes d’eau, nombreuses, étaient un peu trop prétentieuses à mon goût.

- Hey ! leur criai-je. Ce n’est pas parce que vous venez du ciel, que vous savez danser avec le vent, que vous devez péter plus haut que vos culs !

Elles me regardèrent, vexées, et, sans daigner me répondre, continuèrent leur désolant spectacle. C’en fut trop. Je partis clore la fenêtre pour les enfermer dehors.

Je ne voyais absolument pas comment on avait fait pour acheter cet appartement. Sous prétexte que c’était Paris, que c’était joli, il fallait vivre absolument ici. Nous étions pourtant si bien en campagne. Il n’y avait peut-être pas les Champs-Élysées, la Tour Eiffel et le Sacré Cœur mais là-bas la pluie savait au moins rester modeste.

C’était peut-être un village aussi perdu que le pain qu’on vendait ici mais il y avait au 12 rue des marronniers une boulangerie inoubliable. Qu’elle était belle, qu’elle était bonne ! Surtout quand il y avait toi dedans ! J’y allais sans cesse. Pour m’acheter un croissant et, au passage, pour voler ton sourire. Et toi, généreuse, tu me donnais toujours les deux avec comme supplément un jet de regard infaillible. Je t’avais aimé depuis le début. Il était dans la logique des choses que je t’épouse en glissant ma main dans tes cheveux blonds et une bague à ton doigt.

Et, vite, trop vite, le temps a passé. On avait vu les choses en grand, on avait cherché une grosse ville, et on s’était installé ici. Tu avais pris dans tes bagages tes si délicieuses pâtisseries qui se sont vendues aussitôt comme des petits pains. Nous étions devenus riches et nous étions heureux. Si heureux…

Et, vite, trop vite, le temps a passé. Du gris s’était installé dans ta chevelure d’or et de la monotonie dans notre amour. On s’était disputé une fois, deux fois, trois fois, plein d’autres fois. Ce ne fut au départ que des mots. De simples mots. De pauvres mots. Puis ce fut des gestes. De simples gestes. De pauvres gestes. Je t’avais donné des coups, tu m’en avais répondu par d’autres. On était toujours quittes.

Et, vite, trop vite, le temps a passé. Du silence s’était mis entre nous. Il était aussi lourd que le plomb mais il avait la franchise d'être hurlant de vérité. On ne se reconnaissait plus, on se ne voyait plus. Nous étions devenus deux étrangers qui un jour s'étaient aimés.

Et vite, trop vite le temps a passé. J’étais rentré plus tôt que prévu et  j'aperçus dans tes bras un autre homme que moi. Comment aurais-je pu réagir autrement ? Il avait capturé le sourire et le regard que tu avais à la boulangerie 12 rue des marronniers, tes cheveux gris avaient même retrouvé un peu de leur dorure... sauf que cette métamorphose miraculeuse n’était pas de mon fait.

J’en avais tremblé de rage. Comment aurais-je pu réagir autrement ? Je fus bien obligé de prendre mon fusil et de mettre une balle dans son cœur puis dans le tien en rajoutant, par générosité, une autre dans sa gueule qui t’avait fait retrouvé tes vingt ans.

Oui. Le temps a passé vite. Trop vite. Et, derrière la vitre, au pied de ton cadavre et du sien, la pluie m’agaçait de plus en plus.

Mercredi 18 septembre 13

Pour Coraline. Le thème : « Une expérience qui tourne mal ».
 


Dans une grande excitation, ses trois yeux, aussi sombres que pouvait l’être l’obscurité, fixaient intensément la fiole qui finissait de se remplir goutte par goutte. La quantité du liquide, à peine 20 millilitres, de couleur grise, semblait dérisoire mais représentait en réalité deux longues années de travail. Il avait dû passer des nuits et des nuits dans de nombreuses bibliothèques, à chercher les rares livres qui l’intéressaient, à les lire, mais, surtout, à les comprendre.

Lui, comme ses confrères, avaient été entrainés dès leur naissance sur le physique. Pas la physique. Encore moins la chimie, la biologie, les mathématiques ou n’importe quelle autre matière qui y ressemblerait. Toutes ces connaissances compliquées étaient dédiées aux « Ratés », ces individus qui n’entraient pas dans les critères… ce qu’il n’était surtout pas. On l’avait d’ailleurs très vite appelé dans son milieu « Le Destructeur ». Ses immenses pattes poilues, aussi bien antérieures que postérieures, dotées de griffes solides très aiguisées, pouvaient détruire n’importe quoi. Le reste de son corps, trois cents kilos de purs muscles, recouverts de plusieurs épaisseurs d’écailles vert glacier –sauf le cou où était disposé curieusement un simple duvet-, pouvait se lancer tel un boulet de canon contre n’importe quel obstacle avec une étonnante agilité. Lors d’une mission, s’il fallait rendre le terrain bien visible, bien aéré, c’était lui qu’on allait chercher. Il fallait d’ailleurs le faire très souvent. A un point tel qu’il était quasiment toujours au front. Il était aussi craint que respecté de tous. Mais cela ne lui suffisait pas. Il lui fallait toujours plus. Il voulait être plus fort. Plus terrifiant. L’idée d’être encore meilleur l’obsédait.

C’est pourquoi il avait demandé une pause. Pause qu’on lui avait donnée facilement en raison de tous ses services accomplis avec succès. Il en profita pour suivre la voie des « Ratés » qui réussissait des choses de plus en plus grandes, de plus en plus impressionnantes. Ils avaient pris une place très importante bien qu’ils soient toujours considérés comme les rebuts. Il s’était alors inspiré de ces exploits en s’improvisant scientifique. Il n’avait pas hésité à s’enfermer, à acheter le matériel adéquat, à même demander discrètement de l’aide à un ou deux « Ratés » pour lui enseigner les bases fondamentales. Le reste, il l’avait fait tout seul. Comme un grand. De deux mètres soixante.

La dernière goutte tomba dans le tube. C’était prêt. Il prit délicatement la seringue dans sa patte droite, la remplit en respectant scrupuleusement la dose, puis la contempla. C’était l’heure de vérité. Il dissimula tant bien que mal une certaine angoisse, sentiment qu’il ne ressentait presque jamais. Et si… ? Non. Il avait vérifié encore et encore les formules.  Il ne pouvait pas y renoncer. Pas maintenant. Pas après autant de temps consacré à cet objectif. Il respira un grand coup.

Il s’injecta le produit dans le cou puis s’observa devant la glace.

Rien.

Il ne s’était absolument rien passé. Tout était à sa place. Ses écailles, ses poils, ses griffes, ses yeux, sa corpulence. Il n’était ni plus grand ni plus musclé. Rien n’avait poussé. Rien ne s’était retiré. Il soupira en reposant l’aiguille. Il aurait tant aimé d’avoir au moins des cornes sur tête massive. Tant pis. Il allait revoir ses recherches…

Mais, soudain, son ventre provoqua de curieux gargouillements avant de se transformer en des barres de douleur. Il se plia instinctivement en deux dans un grognement, la main sur l’estomac. Il eut à peine le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’il ressentit une énorme chaleur lui parcourir le corps. Il émit un son grave plus fort. C’était comme si on l’avait allumé de l’intérieur. Il était devenu un brasier qui ne laissait montrer aucune flamme. Il chercha à réguler sa température en faisant pendre sa grosse langue mais son cœur s’était mis à se battre à une vitesse effrénée, ce qui l’empêchait de respirer normalement. Il fut très vite pris de convulsions. Ses écailles, ses poils ainsi que ses griffes tombèrent progressivement tandis qu’il avait pris prise du mieux qu’il pouvait sur la table pour ne pas tomber. Il souffrait. Intensément. La transformation prenait du temps. Il cria quand il sentit un de ses yeux sortir de lui pour s’écraser mollement par terre. Il n’en pouvait plus. Jamais il ne s’était senti aussi vulnérable qu’à ce moment précis. La tête lui tourna violemment.

Il s’écroula.

Il ne sut combien de temps il avait perdu connaissance. Il entendait, voyait beaucoup moins bien. Et il avait froid. Atrocement froid. Le moindre de ses mouvements étaient un supplice. Il n’osait pas bouger. Il ne percevait que son souffle beaucoup plus discret. Qu’était-il devenu ? Il se sentait faible. Si faible.

Il se regarda par hasard dans la glace qui se tenait face à lui. Il se dévisagea durant d’interminables secondes avant d’hurler de toutes ses forces.

Le miroir reflétait l'image d'un humain terrifié.

Vendredi 6 septembre 13

Il avait rassemblé un grand nombre de souvenirs pour pouvoir la reconstituer. Un peu d’odeur du doux printemps qu’elle avait tant profité, un soupçon de notes de l’œuvre de piano qu’elle avait tellement écouté, un petit morceau de l’étoile qu’elle avait si contemplé… ainsi que plein d’autres choses qu’elle avait aimé.

Il avait dû cumuler tout le positif pour la rendre la plus belle possible dans son Formeur, une technologie trop avancée sur son temps, cachée aux yeux de tous. Ils ne comprendraient rien. Ils ne l’utiliseraient pas à bon escient, se disait-il. De toute façon ce n’était pas eux qui importaient. C’était elle.

Le Formeur était un étrange appareil. Une vieille machine à laver toute cabossée dont le tambour avait été remplacé par une sorte de diffuseur d’images qui dissimulait, derrière lui, un moteur complexe composé de fils, d’électroniques, et de composants indescriptibles.

Dessus, deux boutons.

Il appuya sur le bleu.

Une belle jeune femme illumina la pièce, projetée par la lumière du Formeur, qui, comme possédé, bougea dans tous les sens en hurlant sa mécanique. Il la regarda, admiratif. Nue, sa chevelure, légèrement bouclée, tombait jusqu’au bas de son dos. Sa couleur brune s’opposait totalement à sa peau toute blanche qui dévoilait ici et là quelques grains de beauté. Certains semblaient s’être posés délicatement sur ses deux petits seins. Mais ce qu’il regarda le plus c’était son regard. Il était d’un gris si intense qu’elle pouvait à tout moment provoquer le plus violent des orages. Ses yeux dominaient son visage fin. Front, nez, oreilles et lèvres s’étaient fait discrets, de peur de les mettre en colère.

Mais ces derniers ne regardaient rien. Ils voyaient sans voir. Ils ne l’avaient pas vu. Elle ne l’avait pas vu. Ne l’avait pas remarqué. Pas une seule seconde. Sa douce Emily n’était qu’une coquille vide. Qu'un vulgaire fantôme. Il devait encore finaliser son projet s'il voulait...

Il appuya sur le rouge.

Le Formeur cessa d’hurler.

Elle disparut.

Vendredi 30 août 13

Ces derniers temps, je ne voyais que ce mes yeux me permettaient de voir. N'entendais que ce mes oreilles me permettaient d'entendre. Ne sentais que ce mon nez me permettait de sentir. Ne touchais que ce que ma peau me permettait de toucher. Ne goûtais que ce ma bouche me permettait de goûter. Mes 5 sens me renvoyaient à tout ce qui était de plus banal. Et c'était ça mon problème: ma vie avait une vision, un son, une odeur, un contact, un goût de trop vrai. 
 
J'avais pourtant tout tenté pour m'en échapper. J'avais commencé tant bien que mal par la musique mais les notes sonnaient si creuses qu’elles ne sortaient pas de l’ordinaire. Ensuite, par l'écriture, mais les mots que j'étalais étaient tellement mathématiques que je paraissais plus compter que m’exprimer. Puis, par la télévision, mais cette dernière ne me renvoyait que des images défilant les unes après les autres. Même la nuit, ma plus grande complice, ma plus belle source, ne me laissait rien à mon réveil.
 
Je n'arrivais vraiment pas à me détacher de la réalité. Elle m'aveuglait, me rendait sourd, me bouchait les narines, me grattait, me laissait sans saveur. Elle m'empêchait d'aller ailleurs. J'aurais pourtant tout donné pour qu'à nouveau je puisse imaginer.

Rêver.
 
Un jour, j’eus le courage d’en parler à Alex, mon meilleur ami. C’était un gars un soupçon moins haut que moi, brun aux yeux bleus, entreprenant et sûr de lui. Il avait eu les sourcils froncés durant toute la conversation mais jamais il ne montra un seul geste pouvant me faire croire qu’il se moquait de moi.
 
- Ça m'est déjà arrivé, m’avait-il dit tout sérieux. Ta vie est monotone et ton esprit aurait normalement dû t'inventer des échappatoires, des moyens d'oublier un peu l'ennui du quotidien. Seulement voilà: il ne se passe rien. Tu restes bloqué. Comme s’il existait un rempart entre toi et ton imagination. Attends, j’ai quelque chose pour toi…
 
Il fouilla dans son sac bleu qu’il avait toujours sur lui. Ce dernier était tellement chargé qu’il avait du mal à trouver ce qu’il cherchait. Il me tendit soudain une canette.
 
- Ce n’est pas ça que je veux te donner mais c’est plein à craquer là-dedans alors prends-le ça fera toujours ça en moins.
 
Il retourna dans ses affaires, fouillant encore plus loin dans ses nombreuses choses.
 
J’ouvris ce qui semblait être un soda. Je ne reconnaissais pas la marque. Le goût ressemblait à un coca cerise.
 
- Ha ! fit-il soudain en sortant un petit papier blanc.
 
Je regardai Alex, perplexe. C’était à mon tour d’avoir les sourcils froncés. 
 
- C'est la carte de visite d'une boutique un peu particulière, m’expliqua-t-il le sourire aux lèvres. Je n'en ai plus besoin alors je te la passe.
 
Cette dernière était d'apparence simplement blanche, mais, une fois entre mes mains, en la tournant légèrement, j'aperçus des reflets multicolores faisant apparaitre l'adresse ainsi que l’enseigne : « You have a dream ». Ça m’amusa un peu.
 
- Bon... attention... m'avertit Alex. Le vendeur est un peu bizarre mais il n'est pas méchant. Il saura t'aider.
 
Notre échange s'arrêta là.
 

 
« 36 rue des rosiers », voilà où je me devais me rendre. J’y étais déjà passé à plusieurs reprises mais il n’y avait jamais eu quelque chose d’intéressant. S’il devait y avoir un commerce sur les rêves je l’aurais remarqué bien avant. Pourtant, une fois arrivé, j’aperçus une façade avec de nombreuses couleurs vives : rouge, bleu, vert, jaune, violet… le tout peint à l’arrache. Comme si on avait balancé les pots de peinture un par un. Il était écrit dessus « You have a dream ». Les lettres, blanches, avaient été faites à la main. Bon. Il y avait effectivement quelque chose d’intéressant dans cette rue des rosiers. Comment ai-je fait pour ne pas le voir ? Je n’en savais rien. Tout ça devenait de plus en plus étrange. J’ouvris la porte. 
 


L’intérieur était petit. Incroyablement petit. Tout juste assez de place pour ne faire rentrer qu’un seul client. C’était tout le contraire de l’extérieur : les murs, le plafond… tout était noir. Seules Des bougies, disposées sur un comptoir en bois ancien en face de moi, éclairaient la pièce… mais personne derrière n’était là pour m’accueillir.  S’il devait y avoir un endroit pour accomplir des rituelles sataniques, genre sacrifier une vierge, c’était bien celui-là. Alors que j’allais partir, une ombre surgit derrière le comptoir.
 
- Bonjour ! 
 
Moi, bien entendu, je n’avais rien vu venir.
 
- HAAAAAAAAAA !!!
- Ho pardonnez-moi ! fit la silhouette, visiblement gênée. Je ne voulais pas vous faire peur.
- F-f-faut… faut dire que votre boutique ne met pas en confiance.
- Je vais arranger ça.
 
L’ombre frappa deux fois dans ses mains. La lumière surgit tout à coup dans la pièce. Qui était venue grande. Incroyablement grande. Le plafond ? Les murs ? Ils étaient blancs. Et ce n’était pas tout : des étagères venaient d’apparaitre. Elles étaient remplies de fioles et de potions aux couleurs aussi vives que celles de l’enseigne. L’ombre avait laissé place à un homme d’une quarantaine d’années. Ses yeux marron se mariaient bien avec ses cheveux mi- longs bouclés ainsi qu’avec sa barbe de quelques jours. Sa tenue était digne d’un homme d’affaire : costard-cravate noir par-dessus une chemise blanche. Il était adossé à un comptoir moderne en verre. Les bougies ? Elles avaient disparu.
 
J’étais resté bouche bée.
 
- Hein ? Mais je… comment vous… enfin… balbutiai-je.
- Illusions et technologies, expliqua le commerçant. Mais parlons de vous. Pourquoi êtes-vous là ?
- Heu... je… je n’arrive plus à voir, entendre, sentir, goûter et toucher autre chose que le réel. Je me sens comme… bloqué.
- Mmmmh mmmh… fit le vendeur, la main au menton, attentif. Vous vous sentez prisonnier de ce monde, vous n’arrivez plus à... voyager ailleurs. C’est bien ça ?
- Oui ! lançai-je. Exactement !
- C’est un souci de plus en plus courant, dit-il dans un soupir. Vous êtes stressé, anxieux. Vous êtes tellement pris par les problèmes de tous les jours, comme régler les factures, que vous êtes aspiré dans une sorte de siphon sans fond. Du coup, c’est plus difficile de s’en sortir… mais vous êtes rentré par la bonne porte.
 
Il me regarda droit dans les yeux –ce qui me mit mal à l’aise-. Je pouvais y lire une véritable détermination. Il me lança un très grand sourire dévoilant des dents bien blanches.
 
- Prenez une fiole.
 
Je regardai autour de moi. Il y en avait partout. 
 
- Heu… laquelle ?
- N’importe, répondit aussitôt le commerçant. Prenez celle que vous voulez.
 
Je pris au hasard une fiole bleu turquoise sur l’étagère la plus proche située à ma gauche. Le liquide était un peu pâteux. 
 
- Buvez-la, lança le vendeur.
 
J’ouvris le bouchon et déversais le contenu dans mon gosier.

Samedi 22 juin 13

Habité par les fantômes du passé
Squatté par les soucis à venir
Obsédé par une porte entrebâillée
Je n'ai su saisir
Les tuiles qui t'occupaient
Si bien que mal logé dans ton cœur
Je crains finir sans toit
Dans les ruines de notre bonheur

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