Samedi 31 mai 14

- C’est impossible, me murmurai-je les sourcils froncés. Ça ne peut pas être ici…

J’avais beau constaté que l’adresse indiquée sur le papier était identique à celle inscrite sur la plaque de la rue (Rue des Lilas), je n’arrivais pas à croire que la résidence pouvait être si quelconque, si banal, par rapport à la personne qui l’occupait.

La maison devant laquelle je me trouvais était toute simple : de taille moyenne, le gris de ses murs, le rouge de ses tuiles ainsi que le marron de ses volets, correspondaient parfaitement aux couleurs des habitations de banlieue qui existaient par centaine de milliers aux alentours de la capitale. Elles se ressemblaient tellement toutes que la seule chose qui permettait véritablement de les distinguer les unes des autres était leur numéro dessiné en blanc sur leur portail noir. Celle-ci, en l’occurrence, portait le numéro « 33 ».

Constatant que la sonnerie ne fonctionnait pas et que le grillage était ouvert, je parcouru en trois pas la ridicule bande de jardin qui séparait le pavillon du trottoir puis frappai presque timidement à la porte. L’attente me sembla interminable tellement que j’étais excité. En effet, l’homme qui devait m’ouvrir la porte était très connu auprès des écrivains. Il n’avait jamais rien publié de sa vie ni même rédigé le moindre petit texte, pourtant, sa réputation avait dépassé depuis longtemps les frontières du pays et avait parcouru le monde entier. Il était devenu si célèbre que les romanciers de tous les pays se bousculaient auprès de sa seule secrétaire, Isabelle, pour prendre une date avec lui.

Rien n’était cependant certain. Le personnage n’acceptait pas n’importe qui chez lui et s’en fichait parfaitement de savoir que tel ou tel individu avait vendu tant d’œuvres. Ses critères de sélection ne se basaient pas sur la réussite mais sur d’autres points qui restaient encore obscurs aujourd’hui. Les prétendants à un rendez-vous ne pouvaient qu’espérer. Les chanceux étaient si peu nombreux. Pourtant, moi, petit griffonneur à mes temps perdus, j’avais reçu au téléphone une certaine Isabelle… alors que je ne l’avais jamais appelé.

Soudain, la porte s’ouvrit… laissant apparaître un trentenaire brun aux yeux marrons, ni trop beau ni trop moche, bien rasé, en costume noire et cravate rouge. Rien d’extravagant. C’était un homme comme un autre. Mon désenchantement devait se voir su mon visage car il m’en fit aussitôt la remarque :

- Déçu ?

Sa voix ne portait ni colère ni tristesse ni la moindre autre émotion. Il semblait me dire ça comme une simple constatation.  Voyant que sa phrase m’embarrassait, il en sortit aussitôt une autre :

- Je vous en prie, entrez.

Je regardai sommairement l’intérieur. Je vis à ma gauche une cuisine semblable à bien d’autres, à ma droite un salon ordinaire avec vue sur la rue. Décidément, tout était banal. Il me désigna une chaise près d’une table en bois.

- Asseyez-vous.

Il s’installa de l’autre côté et attendit que je prenne place. Une fois fait, il prit la parole.

- Vous n’êtes pas le premier à être désabusé en me voyant, dit-il, le regard un peu vague fixé sur la fenêtre.

Ne rajoutant rien d’autre, il attendait attendre clairement une réponse. Ce que je fis tant bien que mal.

- C’est que… heu… sachant votre renommé, je m’attendais effectivement à un peu plus…
- Oh… vous savez… dit-il presque blasé. La notoriété ça va et vient. Je n’estime pas la mériter.
- Vous n’êtes pas n’importe qui non plus, lançai-je.
- Que savez-vous de moi ? demanda-t-il, l’esprit toujours un peu ailleurs.

Je pris un temps de réflexion, de peur de dire une bêtise ou de le contrarier.

- Ce que j’ai entendu dire de vous n’est pour moi que des rumeurs difficiles à croire. On vous dit capable de faire naître chez les autres de l’imagination, même pour ceux qui ont le plus de difficultés à inventer quoi que ce soit. Que vous auriez… -je cherchais mes mots tellement que ça me paraissait ahurissant- cette capacité d’insuffler des idées dans leur tête. Qu’elles se matérialisaient par des images, des sons, des odeurs… et que les détails seraient tels que tout semblerait réel. Vous seriez, en fin de compte, doté… d’un pouvoir extraordinaire. Et que c’est pour ça qu’on vous nomme « l’impulseur ».

Tout-à-coup, en entendant ce mot, son regard s’éclaira et se figea aussitôt sur le mien. Il fut en si peu de temps si attentif qu’il me déstabilisa. Je n’osai cependant me détourner de ses yeux qui semblaient désormais avoir une certaine lueur.  

- Que pensez-vous de ce surnom ?

La question était clairement plus importante que celle d’avant mais, curieusement, je sus quoi répondre.

- Il a été très mal choisi. Si vous êtes vraiment capable de maîtriser l’imagination, c’est que vous avez cette possibilité de percevoir des substances qui ne se nomment pas. Or, mettre un mot sur ce que vous vivez à ce moment-là pour l’insérer dans le cerveau de quelqu’un d’autre, c’est l’enfermer dans une cage ce qui ne peut être isolé. En nommant, on dénature déjà ce que vous avez ressenti. Par essence, votre travail ne peut pas être désigné. Si on veut vraiment respecter ce que vous faîtes, on devrait pas vous donner de surnom.

Ses yeux se mirent soudainement à briller tandis qu’un grand sourire illumina son visage.

- C’est pour ça que je vous ai demandé de venir ! s’exclama-t-il dans un ton beaucoup plus coloré. Vous êtes l’un des rares à comprendre ce que je fais ou du moins ce que je cherche à faire !
- Co… comment ? balbutiai-je, étonné. Co… comment le savez-vous ?
- Par un heureux hasard, je vous ai lu, expliqua-t-il. J’ai tout de suite constaté que vous n’étiez pas de ceux qui écrivent pour écrire. J’ai senti que vous cherchiez dans vos textes à exprimer autre chose que de simples mots. Votre but n’est pas d’aligner bêtement des lettres les unes derrière les autres pour que ça fasse joli… non…

Il fit un mouvement de tête à ce moment-là.

- Vous voulez avant tout faire dégager quelque chose. Ce je-ne-sais-quoi qui justement, comme vous me l’avez dit, ne se nomme pas. Toutefois, pour pouvoir le faire, vous êtes obligé de passer par un langage… l’écrit en ce qui vous concerne. Mais, lorsque vous rédigez, vous remplissez vos mots de ces « substances » et vous espérez en secret que votre lecteur les apercevra dans leur vraie « nature ». Qu’il saura voir entre les barreaux ce qui est prisonnier.

Il eut un moment de silence. Je n’arrivais pas à croire que cet homme s’était penché sur mes petites histoires que j’estimais très imparfaites. Elles n’étaient pourtant publiées que rarement et dans un seul journal… local d’autant plus. J’eus du mal à reprendre la parole.

- Ce… ce que vous venez de me dire me fait énormément plaisir. Mais… est-ce que… est-ce que vous pourriez me montrer… ce que vous savez faire… justement ?
- Oh mais c’est déjà fait depuis longtemps, répondit-il le plus naturellement possible. Cela fait une demi-heure que vous vivez cette expérience.
- Hein… quoi ? m’exprimai-je sans réfléchir. Mais je viens tout juste de vous rencontrer !
- Pourquoi d’après-vous il y a personne devant chez moi alors que je suis un homme mondialement reconnu et que mes clients ont tout de même mon adresse ?
- Heu… je…. je sais pas.
- Parce que cet endroit n’a jamais existé.

Subitement, tout s’effaça autour de moi comme de la peinture qui coule pour en laisser rien. La table, la fenêtre, le salon, l'homme... même moi.

Seule une douce brise me caressait le visage.

Je clignai des yeux.

Des enfants s'amusaient sur un toboggan.
Des arbres nous entouraient.
J’étais assis.
Je tenais un papier dans ma main.

«  Rendez-vous à Paris au square Émile Chautemps. Asseyez-vous sur un banc, je vous reconnaitrai.».

Samedi 24 mai 14

Nous figions le monde n’importe où dans n’importe quel temps.

Il suffisait qu’on le dise dans nos silences, sans même nous regarder, pour se mettre d’accord. Je te disais « je t’aime » puis j’utilisais mon attrape-temps accroché à mon poignet.

L'attrape-temps était une drôle de machine qui ressemblait à une montre recyclée. Dotée d’un petit écran numérique, de deux boutons sur un côté et d’un engrenage de l’autre, elle dissimulait derrière cette apparence simpliste une effrayante complexité. Elle n’était pas très belle à voir mais c’était mon choix: je ne voulais pas que des curieux s’intéressent au résultat de sept longues années de travail et se l’approprient. Mon invention était trop en avance sur son temps et n’avait été de toute façon conçue par mon cœur que pour un autre cœur : ma femme.

L’appareil possédait une technologie hors du commun. Il me suffisait d’appuyer longtemps sur un premier bouton pour conserver le moment, d’un autre pour l’effacer. L’engrenage n’était là que pour le déclencher. Je ne pouvais sauvegarder un temps que pendant quarante-cinq secondes et seulement trois temps à la fois. Avant, je ne pouvais en saisir qu’un pendant dix secondes.

Il permettait de tout revoir, de tout ressentir. De revivre en quelque sorte un flash-black en temps réel. Le décor, les personnages, les odeurs, les sons, le toucher… tout dans un détail effrayant. Il était cependant impossible d’agir à l’intérieur d’un temps. On ne pouvait être que simple spectateur. On ne remontait jamais le temps : on revivait seulement un souvenir.

Le dernier que j’avais figé pour elle était une nuit. Celle qui sentait bon la pluie et la forêt sauvage. Celle où nous avions fait l’amour. Pour la lune, les étoiles, le vent humide mais pas pour nous. Non. Nous, nous étions dans le ciel pour aller toujours plus loin, plus haut.

Mais l’attrape-temps ne fonctionne plus depuis qu'elle est tombée. Au mieux en panne, au pire cassé. Zéro seconde pour zéro rêve.

Voilà pourquoi je ne dormirais pas tant que je ne l’aurai pas réparé.

Tu verras, mon ange, qu’il fera plus qu’attraper le temps.

Il t’attrapera toi
Il te fera revenir.
Des profondeurs.
Du froid glacial.
De la mort.

Lundi 14 avril 14

Totem (projet avorté) - Chapitre 5



Il avait pris toutes les mesures nécessaires pour passer inaperçu. Parti d’un endroit stratégique, dans une voiture qui n’était pas celle qu’il utilisait habituellement pour se rendre dans l’une des belles tours de Cacanbalm. Elle avait néanmoins l’avantage d’être presque tout aussi confortable que l’autre et, surtout, elle avait des vitres teintées. Il fallait absolument que personne ne sache où se rendait Christian Cooger, PDG de l’une des plus grandes entreprises de la République, à l’exception de son fidèle chauffeur et ses deux hommes de main gracieusement payés.

Assis sur la banquette arrière, entre les colosses, il regarda à nouveau le courrier qu’il tenait dans sa main.  Le point de rendez-vous avait été fixé à une demi-heure de la capitale, dans une ville réputée pour ses restaurants de ramens. C’était d’ailleurs dans l’un d’entre eux que Cooger devait le rencontrer.

Il gratta mécaniquement sa barbe mal rasée. Il ne savait presque rien de lui et le peu d’informations qu’il possédait n’étaient basées que sur des rumeurs et des on-dit. On racontait qu’il était un homme de l’ombre voyageant partout dans le monde à des fins cachées de tous. Certains osaient même dire qu’il n’était pas humain, qu’il possédait un pouvoir surnaturel… Mais Cooger ne savait pas s’il devait croire tout cela … Sceptique par nature, il se disait qu’il n’était tout simplement qu’un homme d’affaires comme un autre, que tout ce qui se disait de plus sur ce mystérieux individu n’étaient que des paroles de fous. Il savait cependant bel et bien une chose de lui : il signait au drôle nom de « Oopah ».

La voiture s’immobilisa soudain. Il était arrivé devant l’établissement.

-    Gaston, dit-il. Tu m’attends dans la voiture en double file, je ne serai pas long.

Une minute plus tard, il entra dans le restaurant avec ses géants de muscle, non pas sans avoir mis auparavant des lunettes de soleil. Une serveuse, plutôt mignonne, s’avança vers eux.

-    Bonjour ! Sur place ou à emporter ?

Monsieur Cooper, se voulant toujours discret, se pencha sur elle et parla d’un ton bas.

-    C’est pour un « menu spécial ».

La demoiselle acquiesça avant de faire signe à une femme plus âgée  – sans doute la patronne – qui les emmena tout au fond du restaurant devant une porte cachée par une grande plante verte. Elle tapota un code à plusieurs chiffres sur une boite accrochée contre le mur tout près de la poignée, ouvrit la porte, et les laissa entrer à l’intérieur avant de la refermer.

La salle dans laquelle venait d’entrer Cooger et ses hommes était d’une taille relativement moyenne et très peu décorée. Seul un tableau représentant – ce qui semblait être – une riziculture japonaise y était présent. De même, une table et des chaises tout ce qu’il y avait de plus banales, étaient disposées là. En guise d’éclairage ? Une simple ampoule au plafond. Cela se voyait clairement que ce n’était pas un endroit pour servir des bols de soupes à des clients affamés…

De l’autre côté de la pièce, Monsieur Cooper aperçut l’expéditeur de la lettre, accoudé sur la table. Il prit place, ainsi que ses hommes, et scruta celui qui, à moitié plongé dans l’ombre, se tenait devant lui. Bien plus jeune qu’il ne l’eut cru, il portait une veste à carreaux rouge-blanche-grise par-dessus un tee-shirt blanc. Mais ce qui le marqua surtout chez lui, ce n’était pas ses yeux clairs qui brillaient quelques fois dans l’obscurité par le jeu de la lumière ni les deux piercings qu’il avait sur la lèvre inférieure. Non. C’était ses cheveux longs et bouclés. Il était sur le point de débuter la conversation mais son interlocuteur le devança.

-    Hey salut ! lança-t-il en lui faisant un signe amical avec sa main. Moi c’est Oopah ! Si tu es là c’est que tu as bien reçu ma lettre, non ?

Monsieur Cooger, ne s’attendant pas à tant de sympathie et encore moins à du tutoiement – lui qui avait l’habitude qu’on le vouvoie et qu’on soit à ses pieds – fut un peu désœuvré.

-    B… B… Bonjour monsieur Oopah, balbutia-t-il. Je… J’ai bien reçu votre lettre ef… Effectivement. J’ai apporté ce que vous m’avez demandé.

Il fit un petit geste et un de ses gorilles posa une valise noire sur la table. Il ouvrit cette dernière puis exhiba de nombreuses liasses de billets.

-    Ok cool, super ! s’exclama le jeune homme en se curant le nez. Tu sais de quoi il est question, hein ?

-    Oui, répondit le chef d’entreprise avec plus de certitude. Nous sommes là pour que vous me donniez un fruit du démon.

-    Et tu en sais quoi sur les fruits du démon ? demanda le chevelu d’un air intéressé.

-    D’après ce que j’ai entendu dire, il s’agirait de  fruits spéciaux qui donneraient, à ceux qui en mangent, des pouvoirs qu’aucun autre homme ne peut avoir.

-    Et tu y crois en leur existence ?

-    Je… Je ne sais pas, avoua-t-il.

-    Tu sais pas, tu sais pas… Pourtant tu es là et tu es prêt à me donner beaucoup d’argent pour en avoir un, remarqua Oopah en lançant un regard sur la valise.

Monsieur Cooger acquiesça.

-    J’ai un peu de mal à croire qu’il existe dans notre monde des fruits pouvant nous transformer en rivaux de Dieu en une bouchée. Cela relève de… de la magie !

-    Pas du tout ! Ce sont des fruits naturels qui existent depuis toujours… Ils sont juste rares, c’est tout !

-    Mais enfin ! s’écria l’homme d’affaires. Si de tels fruits existent ils auraient déjà été mangés et leurs pouvoirs, quant à eux, utilisés ! Le monde aurait connu depuis longtemps leur existence !

-    Et tu aurais eu raison si l’Ordre n’était pas intervenu !

-    L’Ordre ?

-    Ça serait long à t’expliquer, mais vois ça comme un groupe d’hommes et de femmes qui ont pour mission de protéger ces fruits secrets. T’imagine un peu si le monde entier apprenait ça ? Ce serait le chaos ! Tout le monde voudrait s’en procurer un et les pays n’hésiteraient pas à s’en mettre plein la gueule, à sacrifier n’importe quelle vie ! C’est pour ça que l’Ordre existe. Bon, d’accord, je dis pas que tout ce que l’Ordre a fait est parfait ! Il y a déjà eu quelques dérapages par-ci et par-là… on fait de notre mieux !

Il s’arrêta de parler et se cura nerveusement le nez. Monsieur Cooper, un peu assommé par ces révélations, mit un certain temps avant de réagir.

-    … Et comment avez-vous su que j’étais intéressé par les fruits du Démon ?

-    De plus en plus d’hommes puissants dans ce pays apprennent leur existence. Je crois que quelqu’un, déçu par l’Ordre, l’a trahit…

Oopah lui lança alors son plus beau sourire.

-    Bon, tu veux le voir ce fruit du démon ?

-    Oui !

Le jeune homme chercha son sac à dos, l’ouvrit et fit rouler quelque chose sur la table jusqu’à monsieur Cooper. C’était un fruit de couleur bleu qui ressemblait vaguement à un ananas. D’étranges spirales noires étaient dessinées dessus …

L’homme d’affaires, stupéfait, le prit dans ses mains. Il n’en croyait pas ses yeux. Il se leva.

-    Tu le veux ? demanda Oopah. Alors donne-moi l’argent.

Monsieur Cooper regarda ses hommes et, en un geste, ces derniers pointèrent tous deux un pistolet sur le jeune homme. Il rigola tout en se levant en même temps que les deux autres.

-    Attends !  Tu croyais vraiment que j’allais te donner tout cet argent ? Tu es venu tout seul et sans défense et tu oses me donner un fruit du Démon ! Pauvre enfant naïf… Je vais croquer dedans et te pulvériser en moins d’une seconde…

Il porta le fruit à ses lèvres et croqua un bon coup dedans… Avant de tout recracher par terre !

-    Pfeurk ! C’est immangeable ! Tu t’es bien foutu de ma gueule p’tit con ! Tuez-le !

Ils n’eurent pas le temps de tirer qu’aussitôt les cheveux d’Oopah s’étirèrent, s’épaissirent et, formant comme une véritable massue, projetèrent d’un coup aussi énergique que vif les deux hommes baraqués contre le mur. Ils retombèrent lourdement sur le sol, inertes. Cassés comme des brindilles.

Le fruit glissa lentement des doigts de monsieur Cooper, effaré et terrifié par ce qu’il venait de voir. Ce dernier tomba par terre. Il voulut s’enfuir mais son corps, traumatisé n’en fit rien.

-    Le fruit du démon que tu tiens en est bien un, et c’est même un Paramécia, expliqua Oopah qui n’avait pas décroché son sourire. Il permet de donner au corps une caractéristique nouvelle permanente, c’est le genre de fruit le plus répandu. Il suffit d’en prendre une seule bouchée pour obtenir le pouvoir qu’il détient. Moi, j’ai croqué le fruit de la Touffe. Il permet d’étirer ses cheveux à une longueur et à une épaisseur souhaitée. Ainsi, je peux les utiliser comme bon me semble. Mais je pense que tu l’avais déjà compris par ma petite démonstration …

Il se leva, s’approcha de lui et ramassa le fruit du démon. Il lui montra alors l’endroit où Monsieur Cooger avait croqué dedans … Avant de montrer l’endroit où lui l’avait fait bien avant !

-    Par contre, dès que quelqu’un d’autre tente de croquer lui aussi le fruit, il ne gagne qu’un goût dégueulasse dans la bouche… Tu n’as même pas cherché à savoir si le fruit avait déjà été croqué. Tu croyais vraiment que j’allais te faire pointer devant moi sans rien avoir dans mes manches ?! Et tu oses me traiter d’enfant naïf ?!

-    Pi… Pitié, dit alors un Cooper tout affaiblit. Laissez… Laissez-moi partir… Je… Je ne dirai rien !

Le sourire du jeune homme fut alors plus grand.

-    Oh oui tu ne diras rien…

Et, d’un coup, les cheveux d’Oopah s’enroulèrent autour du cou de l’homme d’affaires qui fut soulevé dans les airs. Ses jambes bougèrent énergiquement avant de se ramollir et, finalement, de devenir immobiles. En une seconde, le jeune homme retrouva une coupe normale et le corps de Christian Cooper tomba au sol.

Quelques instants plus tard, dehors, devant le restaurant de ramens, Gaston le chauffeur attendait toujours son patron. Il regarda sa montre en fronçant les sourcils pendant que, sur le trottoir,  un jeune homme, avec une drôle de touffe, et un sac sur ses épaules, traversait la rue tout en sifflant joyeusement.

Lundi 14 avril 14

Totem (projet avorté) - Extraits du chapitre 7



(...)

Des années auparavant, parmi les habitants de Daulwen, il y avait une jeune femme. Orpheline, elle vivait avec sa tante au deuxième étage d’un des bâtiments de la Rue des Chouettes, rue qu’elle aimait particulièrement car elle était piétonnière. Ainsi, elle n’entendait pas les voitures. Ce n’est pas qu’elle les détestait. Non… C’était pire : elle les haïssait ! C’était à cause de ces monstres mécaniques de plusieurs tonnes qu’elle avait perdu ses parents. Sa tante avait beau lui expliquer que c’était un accident, elle n’y croyait pas. Assise sur la banquette arrière, en robe blanche, sa poupée entre les mains, elle avait tout vu : le volant avait subitement tourné sur la droite, les faisant ainsi foncer inévitablement dans le magasin de musique. Le choc fut si violent qu’elle fut la seule survivante de ce drame, même s’il  fallut l’emmener d’urgence à l’hôpital car on l’avait retrouvé inconsciente. Elle reprit ses esprits seulement quelques heures plus tard. Après quelques diagnostics, les médecins avaient alors expliqué à sa tante – qui s’était précipitée pour la voir en apprenant la nouvelle – qu’elle s’était seulement cognée la tête contre le siège avant de la voiture malgré la ceinture de sécurité, que ce n’était pas si grave et qu’elle était désormais complètement rétablie. Un miracle selon eux.

En vérité, depuis « cet accident », elle se sentait étrange. C’était comme si elle n’était plus entière. Qu’on lui avait arraché quelque chose. Au début, elle n’y avait pas fait attention, pensant que c’était lié à la disparition de ses parents. D’ailleurs, c’était ce que lui disait sa tante quand elle avait osé en parler. Seulement, depuis ce jour tragique, la nuit, dans ses rêves, elle n’arrêtait pas de se voir dormir dans la chambre et tout lui semblait bien réel. Elle percevait nettement sa respiration lente, le moindre détail de son corps et de tout ce qui l’entourait : son lit, sa veilleuse, les murs, le plafond… Absolument tout. Cette expérience ne durait que quelques secondes mais il lui arrivait de revivre la même scène une seconde fois dans la même nuit.

Elle en discuta avec sa tante en qui elle avait entièrement confiance. Inquiète, cette dernière crut alors que ces songes étaient liés à des séquelles, malgré les dires des docteurs. Elle l’emmena voir des spécialistes, allant même jusqu’à Cacanbalm pour en parler avec les meilleurs. Mais, à chaque fois, après de longs et ennuyeux examens scientifiques, ils donnèrent tous les mêmes réponses : que tout était « dans la tête » de la petite fille, et que le trouble n’était pas physique mais psychologique… Qu’elle refusait d’accepter le passé. Ce qui expliquait pourquoi elle était toujours vêtue d’une robe blanche, accompagnée de son jouet.

Effrayée par l’idée de voir sa nièce se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique, comme en était l’usage à l’époque dès que l’on détectait la moindre anomalie mentale, la tante demanda alors à l’enfant de lui faire une promesse : celle de ne jamais raconter ses problèmes à quelqu’un d’autre qu’elle. Elle avait déjà perdu sa sœur et son beau-frère, elle ne voulait pas également la perdre. La souffrance était déjà lourde. La jeune fille lui jura alors de tenir sa promesse. Depuis, elle n’en avait parlé à personne. Elle avait même fait mieux : elle n’avait plus dit mot à ce sujet à sa tante. Elle lui fit même croire que tout s’était arrangé.

Ce qui était absolument faux.

Ce sentiment d’être incomplète ne l’avait jamais quitté. Au contraire: il s’était empiré. Ses étranges rêves ne duraient plus une poignée de secondes mais de longues minutes qui étaient devenues par la suite de bonnes heures. Elle s’observait toujours dormir dans son lit mais jamais à la même place: tantôt c’était à gauche, tantôt à droite. Parfois, elle se voyait sur son ventre…

Puis, un matin, à son réveil, elle comprit.

Elle pouvait se voir grâce aux yeux de sa poupée.

Elle réalisa alors qu’elle n’avait pas un problème psychologique mais un véritable pouvoir. Elle n’en eut curieusement pas peur. Au contraire, sa découverte la poussa à en savoir davantage, à chercher si elle pouvait faire autre chose avec son don. Elle attendit avec impatience que la prochaine nuit arrive pour tenter quelque chose : elle prit soigneusement sa poupée, la déposa avec délicatesse sur la table de nuit en position assise. Cette dernière était peut-être un peu trop près du bord mais ce n’était pas grave car elle était seulement en chiffon. Puis, même si elle devait tomber, elle aussi avait très bien réussi à survivre dans « l’accident » : seule sa petite robe rose, aussi délavée que le reste, s’était un peu abîmée. Sa propriétaire ne voyait pas pourquoi elle s’en sortirait plus mal d’une petite chute !

La jeune fille se mit au lit, la regarda longuement, toute excitée. Elle ne réussit à s’endormir que tard dans la nuit.

(...)

La chambre était plongée dans l’obscurité. Seule la veilleuse, disposée à côté de la jeune fille, émettait assez de lumière pour éviter que les ombres s’agrippent à son visage. Tout laissait penser qu’elle ne faisait que dormir. Comme tout le monde. Mais, en fait, elle était à l’intérieur de sa poupée et elle pouvait à nouveau se voir et s’entendre. Cependant, elle venait de remarquer qu’elle n’était pas entièrement détachée d’elle, qu’elle était en quelque sorte toujours « liée ». La poupée semblait plus être un prolongement d’elle-même qu’autre chose. C’était comme si elle la tenait toujours entre ses mains lorsqu’elle s’amusait à la faire bouger.

Bouger ?

Par une immense concentration, elle se glissa du mieux qu’elle pouvait dans le corps de son chiffon, en faisant involontairement affaiblir par la même occasion le lien entre ce dernier et son propre corps. Instinctivement, elle fit attention de ne pas rompre le lien.

La poupée, inerte jusqu’alors, tourna sa tête.

Milena venait de la contrôler pour la première fois.

Lundi 14 avril 14

Totem (projet avorté) - Extraits du chapitre 1



Une étoile brille toujours pour quelqu’un.

Combien de fois depuis son enfance avait-il entendu cette phrase ? Il ne le savait pas. Suffisamment, en tout cas, pour qu’elle lui revienne en tête à chaque nuit dégagée, comme celle qu’il pouvait regarder en ce moment même. Mais il avait beau avoir grandi, être devenu un homme, avoir la possibilité d’admirer d’un peu plus haut ces astres brûler au-dessus de lui, il n’était toujours pas assez près pour pouvoir les décrocher. Il aurait pourtant tant aimé les prendre une par une dans le creux de sa main, puis les secouer doucement, avant de leur demander dans un souffle si elles brillaient pour lui. Et, même s’il y en avait des milliers de milliards de ces petites lumières, suspendues dans la couche céleste, à questionner, c’était pour lui sans importance… Il aurait pris tout son temps pour trouver la sienne.

Avoir sa propre étoile, se disait-il, ça devait bien avoir ses avantages…

Il abandonna du regard le ciel pour mieux se pencher sur la blessure du nouveau militaire qu’on venait d’amener devant lui, allongé sur un brancard, en train d’hurler. Un soldat sans grade particulier, à en voir son uniforme classique, couleur vert kaki, que l’on trouvait sur la plupart des hommes. Il remarqua tout de suite une vilaine entaille à sa jambe droite. Sans doute un coup de lame dans la chair. Rien d’inquiétant, mais il fallait la traiter rapidement pour éviter l’infection sinon l’amputation serait assurée. Il craqua ses doigts de manière professionnelle puis approcha la paume de sa main droite à quelques centimètres de l’estafilade. Un halo bleu s’en dégagea aussitôt. Doucement, la plaie fut de plus en plus petite jusqu’à disparaitre entièrement sans laisser une seule citatrice sur la peau du militaire.

Celui-ci, qui avait cessé de s’époumoner, tout d’abord surpris des picotements et de la chaleur qu’il avait ressentis, fut encore plus étonné par ce qu’il venait de voir. Il se leva lentement et, avec grande précaution, s’appuya sur sa jambe rétablie… il ne ressentait plus de douleur ! Il la plia à plusieurs reprises pour s’en assurer… il n’avait réellement plus mal ! Il n’en croyait pas ses yeux ! Il lui semblait même, au contraire, qu’elle était devenue plus forte qu’auparavant. Comme si elle avait été « améliorée ». Pris par un soulagement immense, il s’élança vers son guérisseur pour lui serrer vivement la main.

- C’est un miracle ! s’exclama ce dernier.

(...)

Le mage se frotta les mains l’une contre l’autre pour se donner de l’énergie – bien qu’il n’avait réellement pas besoin de le faire – et les approcha, cette fois-ci, toutes les deux près de la blessure. Il ferma les yeux. On aurait pu penser qu’il se concentrait. Ce n’était pas faux, mais ce n’était pas entièrement vrai non plus. En fermant ses paupières, il pouvait, grâce à son pouvoir, se mettre dans la peau de quelqu’un. Littéralement. En effet, il pouvait mentalement se retrouver à l’intérieur du corps blessé. Mais cette intrusion pouvait provoquer temporairement de la gêne voire de la souffrance supplémentaire à celui qui en faisait l’objet. Tout dépendait de l’endroit où la magie s’opérait, ainsi que de l’intensité de cette dernière. Ici, c’était près du cœur. Il devait donc faire attention.  Pour éviter tout problème supplémentaire à son « patient », il prononça quelques mots qui le firent tomber aussitôt dans un sommeil profond. L’équivalent d’une anesthésie générale.

Comme un visiteur qui n’aurait pas frappé à la porte avant d’entrer, il fit glisser son esprit dans la lésion ouverte. Il s’avança, regarda attentivement autour de lui, puis aperçut très vite les deux projectiles enfoncés dans le tissu organique. Ils étaient à quelques centimètres seulement du battant. Il en avait fallu de peu mais il fallait agir vite. Toujours au dessus du mourant, ses mains rayonnèrent dans une lumière plus bleue que tout à l’heure. Il fit remonter vers l’extérieur de la chair ouverte, avec délicatesse, le premier plomb, avant d’en faire de même avec le second.  Avec sa brillante magie, il arrêta l’hémorragie interne, désinfecta par la suite le reste de la blessure, puis la ferma pour de bon. L’homme qui était, il y a peine un instant, aux portes de la mort, était désormais complètement indemne. Son torse n’avait même pas une seule égratignure. Le mage prit un air satisfait.

(...)

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